Bruno Le Maire
Bruno Le Maire

Nombreux sont les hommes politiques qui se targuent d’écrire, rares sont ceux qui se révèlent être de véritables écrivains. C’est pourtant le cas de l’ancien ministre de l’agriculture Bruno Le Maire, qui vient de faire paraître chez Gallimard l’exceptionnel Jours de pouvoir, témoignage en forme de méditation sur son expérience gouvernementale entre 2010 et 2012. Zone Critique a décidé de lui consacrer un article fleuve: 

2013
31 janvier 2013

Que lisez-vous, jeune homme ? me demande une vieille dame assise en face de moi dans le métro. Jours de Pouvoir, de Bruno Le Maire. Qui ? Bruno Le Maire. Vous savez, l’ancien ministre de l’Agriculture. Ah oui, bien sûr. Il était tout à fait charmant lui. Mais il écrit des livres ? Chez Gallimard en plus. Oui. Ça ne m’étonne pas, remarquez. Il avait quand même l’air d’être le plus malin de la bande.

Le plus malin de la bande, voilà l’image que laisse Bruno Le Maire après avoir été pendant quatre ans ministre de Nicolas Sarkozy, aux Affaires européennes d’abord, à l’Agriculture ensuite. Cela tient sans doute à l’allure soignée, au verbe carré, aux gestes rares et mesurés.

Bruno Le Maire a une tête de premier de la classe (il doit en avoir assez de se l’entendre répéter) et le parcours académique qui y sied : hypokhâgne au lycée Louis-le-Grand, reçu troisième à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, reçu premier à l’Agrégation de lettres modernes, Sciences Po, l’ÉNA, haut-fonctionnaire des Affaires étrangères, une bête de concours qui entre au service de Dominique de Villepin et le suit du Quai d’Orsay jusqu’à Matignon, où il dirigera son cabinet dès 2005. Il publie en deux livres un témoignage saisissant de cette expérience de cabinet (Le Ministre en 2004, Des hommes d’Etat en 2008, tous deux chez Grasset), de beaux succès de librairie.

Il entre à l’Assemblée nationale en 2007, obscur député parmi des députés obscurs, après un parachutage réussi dans l’Eure. Il n’a pas pour lui le bénéfice d’une personnalité explosive. Ni la joyeuse folie d’un Dominique de Villepin ni la rage froide d’un Nicolas Sarkozy. Pas de petites blagues à la François Hollande ou de sentences assassines à la Charles Pasqua. Bruno Le Maire ne déborde pas d’originalité ; c’est précisément ce qui le rend original ; cette déférence pour les fonctions, cette sobriété dans l’expression, ce goût pour la vérité, devenus si rares à une époque où la politique semble se résumer à une vaste opération de marketing, où les excités et les démagogues de tous poils font florès.

Et en plus il écrit ! Alors oui la plupart des hommes politiques ont écrit (en tout cas ils font croire à ceux qui veulent y croire encore qu’ils ont eux-mêmes écrit leurs livres), mais lui ne met pas en pages quelque indigent programme ; page après page, il construit une œuvre littéraire remarquable ; écrivain autant qu’homme d’État (sinon plus), Bruno Le Maire est définitivement un objet politique non identifié.

Vivre le pouvoir

En 2008, il est appelé au Gouvernement ; en 2009 il est fait ministre de l’Agriculture ; commence alors une irrésistible ascension politique et médiatique ; l’homme de la rue de Varenne devient une des personnalités politiques préférées des français. En dépit des limites de son action, Bruno Le Maire est un des rares ministres de Nicolas Sarkozy à avoir enregistré des succès significatifs, et un des plus rares encore qui quittera ses fonctions avec le pelage à peu près intact.

Comment un homme qui, à sa prise de fonction, ne sait même pas à combien de mètres carré correspond un hectare réussit en trois ans à devenir un ministre plébiscité par les agriculteurs et l’opinion publique ? De la même façon que l’énarque parisien réussit son entage dans une circonscription rurale de l’Eure, en dépassant peu à peu sa condition de pur produit de la technocratie républicaine, avec patience et rigueur. Jours de pouvoir retrace deux années (2010-2012) d’un parcours exceptionnel, qui n’en est qu’à ses linéaments.

A-t-on jamais vu plongée plus passionnante dans l’exercice de l’État ? Je ne le crois pas. On pénètre comme par effraction dans la tanière du pouvoir, dans l’intimité de l’homme d’État aussi, qui, voleur de temps, voleur de feu, trouve entre deux avions et deux crises agricoles le temps d’écrire un roman (Musique Absolue : Une répétition avec Carlos Kleiber, chez Gallimard) et de consigner ses lentes méditations sur les petites grandeurs et les grandes décadences du pouvoir.

A-t-on jamais vu plongée plus passionnante dans l’exercice de l’État ? Je ne le crois pas.

 Novembre 2010. Le remaniement ministériel est dans tous les esprits. On parle de Bruno Le Maire pour Matignon. Il doute. Il croit. Il se prépare. On l’encourage à faire parvenir au Président de la République un plan d’action. Il le fait. Il ne croit plus, il est certain : l’immodestie de l’homme de pouvoir qui n’ignore rien de son talent.

François Fillon est pourtant reconduit à Matignon, lui maintenu à son poste, avec un « sucre pour [lui] faire plaisir », la Ruralité et l’Aménagement du territoire. « Avec quelle facilité on se glisse dans les ambitions qui vous sont soufflées, comme elles durcissent vite autour de vous, pour devenir une écorce inentamable, presque la réalité », se dit-il. Les cimetières politiques sont remplis d’ambitions contrariées. C’est cela aussi exercer le pouvoir : travailler à en obtenir de plus en plus, y parvenir parfois, échouer souvent.

 Les destins politiques se croisent et s’entremêlent. Les amitiés, bien sûr ; les conflits surtout :

 « Je prends mon portable, appelle Nathalie [Kosciusko-Morizet] et les passagers en attente pour le vol Paris –  New York de 17h10 garderont sans doute en mémoire, pour le peu qui m’auront reconnu, un ministre éructant derrière les baies vitrées, en faisant de grands moulinets de bras, contre une ministre tout aussi énervée à l’autre bout du fil. »

 Et les disgrâces :

 « Le Président entre dans le salon du rez-de-chaussée accompagné de Koffi Annan, toujours aussi digne, droit, la petite colombe en argent du Prix Nobel de la Paix accroché au revers de son costume sur mesure. Il salue les membres du Panel en faisant le tour le la table, puis, contrairement à ses habitudes, se cale dans son fauteuil sans jeter un regard à Michèle Alliot-Marie, assise à sa droite. À la sortie, Bertrand Sirven m’apprend que le Canard enchaîné apporte de nouvelles révélations sur le déplacement de Michèle Alliot-Marie en Tunisie. »

Les incessants déplacements, en avion, en hélicoptère et en train matérialisent un pouvoir toujours en mouvement : « Les sièges de la classe affaire d’Air France sont devenus les annexes de mon bureau : je prends mes habitudes dans ce cocon de plastique ronronnant, à lire mes dossiers, feuilleter des revues, grignoter des cacahuètes et dormir. » Le pouvoir a changé de dimension, la décision politique a changé d’échelle, elle s’est mondialisée. D’une ville à l’autre, en Europe lundi, en Asie mardi, on se déplace, on se rencontre et on négocie ; le « village mondial » s’administre entre grands de ce monde.

Les incessants déplacements, en avion, en hélicoptère et en train matérialisent un pouvoir toujours en mouvement

Bruno Le Maire décrit un univers essentiellement masculin. Nathalie Kosciusko-Morizet, Mariann Fischer Boel, quelques figures féminines se succèdent, vaporeuses et évanescentes, à l’exception notable d’une Angela Merkel lumineuse. Tous cependant, hommes ou femmes, semblent souffrir du même mal, à des degrés divers : l’ivresse du pouvoir. Chacun aspire à l’exercer de manière égoïste et princière. Et quel meilleur malade que le monarque élu lui-même, qui ne « sait pas ne pas s’occuper des choses », qui veut tout régenter jusque dans les moindres détails, et dont l’auteur dit, en citant Saint-Simon, qu’« il ne voulait de grandeur que par émanation de la sienne. Toute autre lui était devenue odieuse. » Comme le résume si bien Amadou Kourouma : « Le pouvoir est une femme qui ne se partage pas. »

 Il y a les frictions incessantes entre le pouvoir et la vie personnelle. Bruno Le Maire relate sans fard la naissance de son dernier fils, la joie, l’émotion. Dès le lendemain il doit s’envoler pour le Kenya où des affaires urgentes requièrent sa présence. « Tu ne seras pas là trois jours », lui reproche Pauline, son épouse. « Deux jours », corrige-t-il. « Deux jours de trop », conclut-elle. On sent la déception, l’amertume, mais il y a le poids du devoir et des nécessités. Le pouvoir est un sacerdoce, « le chemin aride de la constance et de la responsabilité. »

Un tel degré d’intimité est rare, sinon inédit. Bien sûr les hommes politiques, et Nicolas Sarkozy le premier, ont pris le pli de médiatiser leurs vies personnelles, mais on demeure dans quelque chose de l’ordre de la mise en scène, du spectacle. Combien parlent de la main de leur femme qui leur « caresse le sexe » (Le Ministre), des crises d’asthme de leur aîné (Des hommes d’État) ou de la mort douloureuse de leur père ?

 Le pouvoir c’est aussi des plaisanteries et de la bonne humeur. Les bons mots de Claude Allègre, Nicolas Sarkozy qui taquine Angela Merkel sur son décolleté, la chancelière allemande qui aime à traîner ses conseillers épuisés dans les bars tard le soir, et l’humour corrosif de Nicolas Sarkozy, résumée dans cette anecdote des plus savoureuses :

 « Un seul maire ose une critique, empoigne le micro, son visage devient écarlate quand il parle : “Monsieur le Président, c’est bien beau tout ça, mais avec vos fermetures de bureaux de poste, moi j’ai posté une lettre il y a deux jours pour quelqu’un à deux kilomètres de chez moi, et elle est toujours pas arrivée ! – Eh bien la prochaine fois, monsieur le Maire, faites les deux kilomètres à pied, ça ira plus vite !” »

Le pouvoir est moins fort que le vouloir

Ceci étant, Bruno Le Maire reste lucide. Il sait et rappelle avec franchise que le pouvoir dont il parle ici n’est plus rien, en fin de compte, qu’un jouet cassé. Dès l’instant qu’on se l’approprie on devient impuissant. Relatant un dîner avec un de ses fils : « Il juge mon travail sans grand intérêt : “En fait, je comprends rien à ce que tu fais.” Je me demande parfois si une majorité de Français ne pense pas comme mon fils. »

Il sait et rappelle avec franchise que le pouvoir dont il parle ici n’est plus rien, en fin de compte, qu’un jouet cassé

Le pouvoir n’existe plus que comme un simulacre. Les Français ne comprennent plus rien à la façon dont il est exercé. L’ont-ils jamais compris, du reste ? L’essentiel n’est pas de comprendre, mais de savoir où repose le pouvoir, et le peuple sent qu’il n’est plus entre les mains de ses dirigeants. L’action politique est commandée par les forces de l’argent, décidée par Bruxelles et actée par des Gouvernements nationaux impuissants.

Bruno Le Maire s’en désole, comme il se désole de ce qu’est devenue l’Union européenne, justement, une hydre tentaculaire, froide et désincarnée, en déficit total de démocratie, où tout se résume à l’argent et au libéralisme économique, où quelques hommes de bonne volonté comme Dacian Ciolos, le commissaire européen à l’Agriculture, côtoient des loups féroces et sans scrupules. Il décrit les négociations ardues sur la PAC, les quotas de pêche (ah ! le requin-taupe !), les aides financières aux associations humanitaires, le G20 agricole, les rapports de force entre des pays aux intérêts divergents. Tout s’y fait dans l’abstraction et le cynisme du combien-ça-va-nous-couter, comme si au bout il n’y avait pas des milliers d’agriculteurs, d’éleveurs et de pêcheurs plongés dans la tourmente ; des pauvres menacés d’être privés des repas chauds servis par les soupes populaires…

Le pouvoir, ce n’est plus se demander ce qu’on va faire, mais ce qu’on est autorisé à faire ; et une triple méprise s’installe : les hommes de pouvoir éloignés dans les hautes-sphères où se décident les choses ne comprennent plus les réalités du terrain. Les commentateurs politiques ne comprennent plus la réalité d’un pouvoir auquel ils n’ont plus vraiment accès. Le peuple pressent que le pouvoir est « mort » (vive le pouvoir !) et se moque de ce que peuvent en faire les hommes politiques ou dire les commentateurs politiques. Et ce résumé, réaliste et cruel :

 « Le vrai changement viendra quand nous, les responsables politiques, auront compris que nous avons un ou deux trains de retard sur la société que nous voulons gouverner, que les comportements et les choix qui visent à nous protéger nous affaiblissent chaque jour davantage, que nos paroles sont suspectes, que nos actes sont faibles, et que les autres pouvoirs – finance, marchés, fonds de pension, mafia, puissances émergentes – ne grignotent pas notre souveraineté mais la dévorent. »

 Et puisqu’il faut bien se raccrocher à quelque chose, on fait son beurre politique sur les sujets de société, la délinquance, les Roms, l’assistanat, l’immigration qui menace notre civilisation, l’Islam, « partout le même raidissement, le sentiment que quelque chose se perd de notre identité nationale et ne reviendra pas. »

Anatomie d’un naufrage

C’est ici qu’intervient la campagne pour la réélection de Nicolas Sarkozy, personnage majeur de ce récit, qui écrase le reste de son ombre omniprésente.

Machiavel dit : « La vertu du prince n’est pas morale mais politique. C’est son aptitude à conserver le pouvoir. » Traduction : les hommes de pouvoir passent plus de temps à s’employer à conserver leur pouvoir qu’à réellement l’exercer. Nicolas Sarkozy ne fait pas exception à la règle. Il est prêt à tout pour conserver le trône. Il y croit quand plus personne autour de lui n’y croit. Il sait encore galvaniser les foules mais il a perdu le feu sacré. Les promesses de 2007 n’ont pas été tenues, mais le peuple comprend-t-il qu’une crise économique d’une violence inouïe est passée par là, et que Nicolas Sarkozy lui en a épargné le pire au prix de sa propre popularité ? Non. Comprend-t-il que sous ses dehors d’hyper-présidence, l’action de Nicolas Sarkozy est bridée par des choses qui nous dépassent et qu’« en politique on reste libre tant que le peuple ne vous a pas choisi. Ensuite on compose » ? Pas davantage.

Le divorce total entre Nicolas Sarkozy et l’électorat est frappant. La façon dont il répète, comme un aveu, que « ça va pas si mal, hein ? », quand tout le monde voit bien que ça va très mal, et que personne n’ose le lui dire, a quelque chose de tragique. Lui qui, de l’avis de Dominique de Villepin, « avait une longueur d’avance sur tout le monde en 2007, maintenant il a une longueur de retard, il ne comprend plus ce qui se passe. » Il a l’air d’avoir perdu son odorat de prédateur. Un autre Nicolas Sarkozy, l’ancien, aurait vu arriver François Hollande à des kilomètres à la ronde ; lui, ne l’a pas vu. « En politique, on plonge dans cette violence qui coule dans les veines du monde depuis la nuit des temps », mais le pouvoir c’est le pouvoir, ce n’est plus la politique. Le pouvoir émousse les sens, on y perd l’instinct du danger et du combat roué.

Le pouvoir émousse les sens, on y perd l’instinct du danger et du combat roué

Nicolas Sarkozy se fourvoie dans une double méprise : l’idée que le Centre a, de part sa nature, vocation à le soutenir et donc qu’il ne lui doit aucun gage de bonne volonté ; et l’idée qu’il pourra conquérir encore une partie de l’électorat du Front National, alors que celle-ci, se sentant bernée après lui avoir fait confiance en 2007, préférerait encore voter pour François Hollande plutôt que pour lui. Ce que beaucoup feront.

À droite, les désertions se généralisent. La personnalité du Président de la République a irrité tant dans les terres de Bretagne que dans les Outre-mer. On sait qu’il perdra, alors on se désolidarise prudemment, selon qu’on tienne à garder son fauteuil de Maire ou qu’on est déjà en campagne pour les élections législatives. La suite, on la connait.

En ceci Jours de Pouvoir ressemble à une longue marche funèbre. C’est un monarque « fragile et absolu » que ses sujets abandonnent. C’est la chute d’un grand destin politique et de tous les destins qui l’entourent. C’est le pouvoir de Bruno Le Maire qui s’amenuise à mesure que diminue celui de Nicolas Sarkozy, jusqu’à la disparition finale. Ce sont les affaires courantes qui sont expédiées, les dossiers qui sont classés et ordonnés à l’attention de la succession. Ce sont les fonctions qui sont quittées. C’est le pouvoir qui est laissé. Ce sont des animaux blessés qui se retirent dans les fourrés pour lécher leurs plaies. Ce sont de nouveaux combats qui se préparent, de nouvelles ambitions qui prennent forme, car en politique on n’est jamais mort que lorsqu’on est bien mort ; et ces hommes aujourd’hui répudiés par le peuple reviendront demain, par amour de la bataille, oui, par égard pour l’intérêt général, sans doute, mais, ne nous y trompons pas, par passion du pouvoir avant tout, car c’est de cela qu’ils vivent, de la perspective de détenir et d’exercer malgré tout ce qu’il reste de cet impuissant pouvoir.

 « La politique nourrit mon écriture et elle la bride. »

« Qui écrit en moi ? Qui fait de la politique ? Où commence la politique et où se termine la littérature ? » se demande Bruno Le Maire. Il est difficile de la savoir, tant ces deux aspects de lui sont intriqués. Jours de pouvoir est un récit puissant et résolu, porté par une plume sobre, exigeante, et un souci de la narration qui, quoiqu’en disent les malveillants, en fait une véritable œuvre de littérature. La vision qu’a l’auteur du pouvoir peut être contestée et il ne le conteste pas : « En politique comme en littérature, on ne construit rien sur la réalité mais sur des représentations de la réalité. » Sa réalité.

Plusieurs exercices littéraires se mêlent. Outre un récit fidèle et précis des événements et une réflexion minutieuse sur l’état du pouvoir en France et en Europe, ce livre renferme une galerie de portraits tous plus attachants les uns que les autres. On lit Nicolas Sarkozy, sa dureté et sa prévenance aussi excessives l’une que l’autre, son omission systématique de la forme négative, et on a l’impression de l’avoir en face de soi. On lit : « Il entre dans le restaurant avec sa fougue habituelle », et on sait immédiatement qu’il s’agit de Dominique de Villepin. On lit un Jacques Chirac très diminué par la maladie mais toujours vif et gouailleur. On lit un Édouard Balladur apaisé et serein. Et on lit le récit d’une rencontre avec Valéry Giscard d’Estaing, d’autant plus éblouissant que l’auteur n’aura même pas besoin de l’y nommer une seule fois.

Les références littéraires foisonnent : Borges, Günter Grass et, bien sûr, Proust… L’art de l’ellipse est pratiqué à merveille. Les détails sont-ils importants, après tout ? Ici pas de ragots de couloirs, pas de potins, aucune désobligeance (si ce n’est une petite pique sur Nathalie Kosciusko-Morizet et ses bottes Hermès). De l’amitié pour les frères, de l’estime pour les adversaires. Bruno Le Maire n’est pas un moraliste. Il observe une retenue qu’il n’aurait peut-être pas observée s’il avait été un simple commentateur ou s’il avait été à la fin de sa carrière politique. Mais peut-être est-ce aussi une pudeur, une dignité et une charité inculquée par l’éducation catholique.

L’art de l’ellipse est pratiqué à merveille. Les détails sont-ils importants, après tout ?

En tout état de cause, quand on a de l’ambition, il vaut mieux ne pas se créer trop d’inimitiés, surtout dans les temps troubles dans lesquels la défaite de Nicolas Sarkozy a plongé son camp. Certains, qu’on ne nommera pas, en voulant se livrer au même exercice que Bruno Le Maire ne l’ont pas compris, et s’en mordent encore les doigts.

Lui ne laisse ici rien connaître de ses plus grandes ambitions, quoiqu’on les soupçonne, car c’est aussi cela, le propre de l’homme de pouvoir, que de se faire modeste et mystérieux. Il lève le voile mais ne révèle pas tout. À quoi cela nous servirait de tout savoir d’ailleurs ? Savoir ce n’est pas comprendre, et pour comprendre définitivement, il faut avoir soi-même possédé le pouvoir, s’être employé à le conserver, ou avoir œuvré, inlassablement, contre vents et marées, à le regagner.