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Michael Douglas, brillant interprète du pianiste Liberace.

Dans Ma vie avec Liberace, Steven Soderbergh raconte une histoire d’amour entre le célèbre pianiste et un jeune vétérinaire. Une idylle jamais assumée publiquement par Liberace, à une époque où l’homosexualité était encore un tabou.

Steven Soderbergh est malin. Admirateur du pianiste Wladziu Valentino Liberace, star aux États-Unis entre les années cinquante et soixante-dix, il décide de lui rendre hommage dans un film en évitant les écueils du biopic classique. Pour cela, il lui suffit de changer sa mise au point : plutôt que de zoomer sur le héros, le réalisateur va se centrer sur son ami et amant, Scott Thorson.

En 1988, ce dernier a écrit un livre sur sa relation passionnée avec Liberace, Lee pour les intimes. Behind the Candelabra sera la trame de Steven Soderbergh pour monter Ma vie avec Liberace. Il pense immédiatement à Michael Douglas pour incarner l’artiste : « Je ne sais pas ce qui m’a pris ! Mais Michael s’est aussitôt lancé dans une imitation à l’improviste que j’ai trouvée excellente ! » Un rôle à contre-emploi pour l’acteur de 69 ans, plutôt habitué à jouer les mâles virils. Coiffé d’une crinière blonde, Matt Damon l’accompagne pour reconstituer ce duo atypique remarquablement interprété par les deux acteurs.

Le tyran du kitsch

Lee couvre Scott de bijoux et de cadeaux.

En sortant du film, l’œil du spectateur aura absorbé autant de paillettes qu’après avoir vu un feu d’artifice. Oui, Lee est kitsch et il l’assume. Sur son piano, doré jusqu’au bout des touches, trône un candélabre rutilant. Il apparaît sur scène dans des voitures de luxe, emmitouflé dans des manteaux de fourrure. Les mains pleines de bagues, le cou serti de colliers en or, la star conserve le même style à la ville comme à la scène.

Dans sa villa, Lee a voulu recréer le décor du château de Louis II de Bavière, une décoration qu’il nomme lui-même le « kitsch palatial ». Vestes, mobilier, bijoux, murs, maillots de bain… Tout n’est que dorures et paillettes. On peut trouver cela laid, le style Liberace fait corps avec le personnage : ostentatoire, exubérant(e), extraverti(e), tape-à-l’oeil.

Scott Thorson a été frappé au premier regard lorsqu’il assiste à un spectacle du pianiste en 1977. La salle réserve une ovation à Liberace, ravi (et toujours aussi maniéré) devant un public majoritairement âgé et collet-monté. Un décalage qui interpelle Scott : « C’est drôle qu’ils aiment un truc aussi gay ! – Oh, mais ils ne savent pas qu’il est gay ! », lui répond son ami, lui-même homosexuel.

Le secret caché sous l’oreiller

Lee ne revendiquera jamais son homosexualité en public. Au contraire, il fera tout pour la cacher. Il vit sa passion amoureuse avec Scott dans sa prison dorée, loin des regards fouineurs des paparazzis. « J’adore donner du plaisir aux gens », clame-t-il à tout va. Son plaisir à lui, il le trouve dans les yeux du public et dans la reconnaissance de son entourage. Le pianiste a sans doute cru protéger ses fans, et donc sa popularité, en affirmant courir après la femme de ses rêves.

Lee est donc roi en son domaine. « Laisse moi décider ce qui est important » est l’une des premières phrases qu’il adresse à Scott. Il trouve en ce dernier un confident, un ami, un amant, un fils qui l’aide à supporter la solitude et le mensonge : « Parfois je hais ma vie. Je suis entouré de gens qui ne sont ni mes amis ni ma famille […] Je ne sais jamais si on m’aime pour ce que je suis ou pour ce qu’on peut me soutirer. »

Mais la réciproque est moins vraie. Lee entretient Scott, il l’aime, sans vraiment le soutenir. Tel un Pygmalion tout puissant, il en fera sa Galatée, lui ordonnant des opérations de chirurgie esthétique et lui interdisant de sortir seul. Scott vivra heureux, mais caché. Jusqu’à ne plus pouvoir supporter de rester dans l’ombre de la villa et de son maître.

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Liberace confine Scott Thorson dans une cage dorée.

Les histoires d’amour finissent mal

Soderbergh est habile. Il déroule cette histoire d’amour et de haine qui durera cinq ans sans jamais juger aucun des deux personnages. Ses deux acteurs sont magnifiquement filmés et Michael Douglas retrouve une seconde jeunesse sous sa caméra. Le Liberace qu’il fabrique semble imperméable à la tristesse. Ses traits, déformés par la chirurgie esthétique, l’empêchent de sourire franchement mais sans doute aussi de pleurer.

Le réalisateur condense neuf ans en deux heures sur un rythme virevoltant et rapide. Parfois un peu trop, quitte à imposer des ellipses, à ne pas s’attarder sur certains moments clés (comme les opérations de chirurgie esthétique de Scott et Lee), à couper des scènes au couteau et à éviter les apitoiements sentimentalistes. Pourtant c’est bien une histoire triste que dépeint Soderbergh. La romance d’un amour possible, sincère, mais secret, qui aurait peut-être pu se vivre au grand jour s’il était né aujourd’hui.

Lola Cloutour