Ivan Macaux (© Julien Falsimagne)
Ivan Macaux (© Julien Falsimagne)

Zone Critique est parti à la rencontre du journaliste Ivan Macaux, l’une des révélations de cette rentrée littéraire, pour son premier roman, le récit du road trip dans le Var d’un fils et de son mystérieux père, “Il Babbo”.

2013
21 août 2013

«En vingt ans de vie commune, je n’ai jamais connu mon père» voici la phrase liminaire du roman d’Ivan Macaux. Le ton est lancé, le sujet du livre aussi. Il Babbo, c’est d’abord l’histoire d’un père, c’est la construction d’un mythe. Un père énigmatique, lunatique, qui a échappé à son fils. Ivan Macaux, romancier et journaliste a accepté de nous raconter cette expérience exorcisante qu’est l’écriture et de nous livrer quelques pistes d’étude de son premier roman.

 Le jeune narrateur est embarqué dans un road-trip avec son père dans le Var, au volant d’une Fiat Panda de quinze ans d’âge. Une voiture qui devient la métaphore du narrateur. «Elle se demande à quoi rime ce voyage. Ce n’était pas la quête qu’elle avait espérée. Ce n’était pas la révélation qui devait la faire grandir. tricheuses tribulations». Les souvenirs d’enfance, les analyses psychologiques et l’image du père se calquent à travers les descriptions des paysages du Var qui sentent le soleil et apparaissent comme des photos à la Depardon.

Ivan Macaux ne raconte pas seulement comment il a pris la route, mais aussi comment il s’est saisit de la plume pour tenter de rattraper ce père aujourd’hui décédé: «Depuis que mon père est mort, je me notais des anecdotes, des choses refoulées ou oubliées sur des petits bouts de papiers que je collais dans des classeurs, pendant des mois, sans intention particulière. Je le faisais plus pour moi». Le livre aurait donc pu être un récit éclaté aux notes hétéroclites. Pourtant, son auteur, Ivan Macaux, a travaillé aussi bien la forme que le fond.

Si bien qu’un jour, c’est le regretté Jean-Marc Roberts des éditions Stock qui l’appelle : «J’ai envie de le publier tel quel avec ses maladresses, mais je veux garder cet élan de sentiments contradictoires qui t’a animé pendant trois mois. Je ne veux pas que tu changes une seule virgule». Ivan Macaux est le mieux placé pour parler de sa création : «Il Babbo est un road book, une narration de choses vues. J’ai aimé jouer avec ce sentiment d’immédiateté sur la route. La rédaction d’Il Babbo est un flux spontané

La conquête du père par ce périple en voiture est rythmée par des pauses dans la narration (rencontres, descriptions, …) et des chapitres intitulés «Panthéon». Ces Panthéons sont les mythes personnels de l’enfance de l’auteur : admiration de Camilla Parker Bowles, présentation de «Jack» un malfrat de Dallas, … «Ces figures m’ont accompagné, ils sont devenus mes héros personnels. Ce sont surtout des histoires qui m’ont fait délirer. Elles disent quelque chose sur cet enfant, ce narrateur.» Ces «Panthéons», comme des mythologies Barthiennes, incarnent des parenthèses enchantées et des respirations salutaires pour cet auteur au travail plus qu’ardu: reconstituer le puzzle paternel.

Une relation muette ?

Un père qui ne parle pas. Il Babbo c’est l’histoire de cette non-communication entre un père et son fils. «C’est surtout un livre sur la déception, ça m’amusait d’ouvrir des tiroirs, de les refermer sur les doigts du lecteur. Cela m’amusait de surjouer cette déception

Ce voyage en décapotable ne sonne pas l’heure de la confrontation ou du règlement de compte familial. Le fils passager, juge, analyse, et interprète tous les faits et gestes du Babbo. Un titre mystérieux qui désigne le surnom donné au père. Un surnom aux consonances italiennes choisi par la mère de l’auteur. Derrière ce titre et ce surnom étrange qui attisent la curiosité du lecteur se cache un personnage. Un personnage réel au destin si hors du commun qu’il en devient un personnage de roman. «C’est pas un bandit, c’était un type qui par amour et pour se rêver plus grand a fait des choses borderline.» Malfrat, voyou, mafieux, Il Babbo en a fait voir de toutes les couleurs à son fils. Surtout celle de l’or: le narrateur raconte même comment il découvre sous un lit une mallette à l’argent sale…

Ivan Macaux amuse. La phrase, très souvent nominative, est vive et le ton ironique. L’anecdote et le commentaire prennent le pas sur la description. Le narrateur à l’opposé du père est plus que sympathique: il chouchoute son lecteur par des insertions et des idées  qui font sourire. Mais les deux protagonistes se rejoignent : «Ce sont deux losers magnifiques, le narrateur et le père sont deux losers magnifiques à leur manière».

Ivan Macaux amuse. La phrase, très souvent nominative, est vive et le ton ironique

Derrière ce petit bijou de littérature, une motivation première: faire son deuil. L’écriture s’imposait: « J’ai eu besoin de poser des mots et d’essayer de comprendre ce qui ne s’était pas passé entre nous. Le narrateur a plus de colère que moi. Il y a forcément quelque chose proche de l’auto- analyse. C’était vital d’écrire ce livre pour pas devenir dingue. Je voulais avant tout une histoire qui peut se lire.» Il Babbo ce n’est pas seulement le récit d’une relation personnelle. Ivan Macaux y réunit avec générosité toute une génération derrière des marques, des événements historiques, des personnages, des anecdotes.  Comme Georges Perec, Ivan Macaux se souvient. Il inscrit ses détails dans une conscience collective : la connivence avec le lecteur est tissée. A travers un texte très sensuel, la réminiscence de l’auteur provoque celle du lecteur. Si l’auteur aborde l’absence de communication avec son père, il se rattrape en parlant au lecteur, en l’apostrophant parfois. Il donne même voix à son lecteur «Vous vous résumez(…) le livre en entier « Bon ben là, il arrive pas à parler à son père ».

Un livre-musée

Il Babbo est un récit pluriforme qui apparaît comme un livre-musée. Comme Théophile Gautier qui présentait ses Emaux et Camées comme des poèmes «oeuvres d’art», Il Babbo est un musée de souvenirs: paroles de chansons de Barbara, photos, jeux typographiques, fragments de poèmes.

Ivan Macaux, qui reprend le topos de la relation père-fils, évite le ton larmoyant et les phrases lascives. Il offre une fraîcheur d’écriture qui renouvelle le genre du récit «familial», aussi bien par le fond que par la forme.

On lit Il Babbo avec le sourire, on y repense l’air grave. Car à côté du ton léger, on découvre l’amertume de ce narrateur qui déplore l’absence et les magouilles du père. Livre du regret, livre de la déclaration d’amour au père. La dernière phrase résonne comme l’apologie de la communication.

  • Il babbo, Ivan Macaux, Stock, 21 août 2013, 18 euros.

Marie Gicquel