Philippe Sollers (©BALTEL/SIPA)
Philippe Sollers (©BALTEL/SIPA)

Zone Critique vous présente un nouvel article de son partenaire, le magazine La Cause Littéraire. Retour aujourd’hui sur le dernier roman de Philippe Sollers, Médium.

2 janvier 214
2 janvier 214

« Time is money, la folie gronde. La contre-folie, elle, prend son temps. Pour qui ? Pour rien. La rose est sans pourquoi, fleurit parcequ’elle fleurit, n’a aucun souci d’être vue ».

Lorsque la folie gronde, il vaut mieux être protégé par un paratonnerre, réel ou imaginaire, peu importe, mais il convient de s’armer de contre-folie, s’arrimer à la terre, et flécher le ciel. En ce siècle crispé, il y a des lieux, des êtres, des livres qui en tiennent avec légèreté l’office. Rien de nouveau sur la planète Sollers, la petite aiguille de sa boussole amoureuse lui indique toujours la même direction : Venise. Ville médium, ville dictionnaire qu’il ouvre et parcourt accompagné d’or – Loretta –, d’une fleur – Ada –, et de son moraliste, l’immortel de Versailles – Saint-Simon.

Médium est le roman de la folie et de son contre feu. L’une, on sait sur quoi elle tient : trafics en tous genres – dollars, organes et arts –, falsifications, vérités et mensonges, mauvais romans et mauvaise vie, l’autre repose sur quelques certitudes : immortalité et musicalité du Temps, amours gagnés, lectures attentives et écriture permanente, mouvement permanent du corps joyeux, trilogie divine. Le Père lit, le Fils écrit, et le Saint Esprit ne cesse d’aller et venir entre Paris et Venise sans changer de place.

« Il est impossible qu’une particule humaine se retrouve dans plusieurs endroits à la fois. Je dois donc voyager mon corps, pour attester qu’il est bien là où il se trouve, y compris dans le temps, et, pourtant, je tourne. C’est une expérience qu’on ne peut ni filmer ni photographier, il n’en reste pas moins qu’elle est incessante et vraie. A l’instant, j’ai 30 ans, je suis à Venise, cet angle de soleil en sait long sur moi ».

Il y a tout cela dans Médium et plus encore, la passion des dictionnaires, des siestes profondes, des rêveries, des voix, des églises italiennes et des regards. Mais La Fête à Venise, semble s’être un rien obscurcie, comme si cette contre-folie que s’inocule le « professore », avait par instant des effets secondaires. Comme si elle produisait un tremblement, des secousses, un tressaillement de la phrase et de son rythme. Effet mineur mais qui laisse parfois sur l’instant un goût amer. Effet du Temps qui s’est retourné sur l’écrivain, comme si l’ombre de Debord lui voilait le soleil, du vouloir trop en dire de la folie du monde, des stratégies du Diable, trop dire ce que l’on sait, de ce que l’on voit, de ce que l’on ressent, d’un discours l’autre, de l’amoureux au ressentiment, il n’y a parfois qu’un roman.

« Avec les journaux et les faits divers, vous vérifiez qu’il y a bel et bien une folie humaine, une puissante contrenature à l’œuvre, que des tonnes de culture, de plus en plus avariée, n’arrivent pas à canaliser. Les assassinats restent des assassinats, la corruption ne bouge pas d’un millimètre, la planète est une province de passions minuscules ».

Fort heureusement cet excès de fièvre, Sollers s’en détourne et en revient dans les passages les plus envolés de Médium, à ce qui fonde son style, son art et sa matière : le mouvement gracieux et léger de ses phrases, le saisissement si particulier des citations, comme un contre point, loin du tumulte barbare.

« Tout est calme et gris-bleu, j’arrête le bateau au large. Une phrase du duc me poursuit sur l’eau : “Son adresse était de faire valoir les moindres choses et tous les hasards”. J’aime ce mot d’adresse. J’en ai besoin pour sortir du port. Décidément, il y a deux mondes, et il faut choisir : “La mode, le bel air d’un côté, le silence de l’autre, et la solitude” ».

Philippe Chauché