Jean-Noël Pancrazi (©C.Hélie_Gallimard
Jean-Noël Pancrazi (©C.Hélie_Gallimard

En lettres blanches, sur fond rouge, aurait pu être écrit ce slogan adéquat et parfaitement à propos sur le bandeau publicitaire du dernier livre de Jean-Noël Pancrazi : « Barbe à papa à volonté. » De la sucrerie, du coulis de bons sentiments, enrobé d’une pseudo-conscience sociale : vous en avez plein les doigts en tenant Indétectable entre vos mains. Dans le 10ème roman de Jean-Noël Pancrazi, l’audace du choix du thème de l’immigration échoue, tout au long de sa réalisation. Nous nous situons loin de la bohème des Quartiers d’hiver ou de la vieillesse confortable de Tout est passé si vite.

2014
27 février 2014

La liberté de l’écrivain a tous les droits dans les mesures de la beauté formelle ou de l’intérêt intellectuel, or ni l’un ni l’autre n’encombre les pages du dernier livre de Jean-Noël Pancrazi. Il ne s’agit rien de plus que de la retranscription fidèle du monologue d’un retraité neuilléen qui improviserait une conscience sociale chez lui pendant une après-midi d’ennui. Tout y est : la beauté des visages et la détresse des regards, la violence régalienne dans la confrontation avec les agents de police mais leurs bontés immanentes malgré tout, le poids du regard des autres et l’entraide globalement généreuse des pauvres entre eux, etc. Tous les poncifs sont présents, encagés dans la dialectique gentil/méchant – un peu gentil/un peu méchant – personnes courtoises/personnes discourtoises. Le seul programme politique des bourgeois de gauche des Trente Piteuses.

 En une seule phrase : « Bien sûr, on fouillait Mady, quand il entrait à la Zapi, mais avec moins de rudesse qu’il ne l’avait imaginé ; il y avait encore des contrôles, comme ça, pour rien, juste pour vérifier sa peur, son égarement, sa peine ; la photo, aussi, prise à bout portant, comme pour mesurer ses yeux, sa capacité de voir, d’avancer, même foudroyé ; (…) battant parfois des poings contre les genoux comme pour envoyer, de loin, des signaux à ceux qui ignoraient où ils étaient, les attendaient quelque part dans Paris, et qu’ils ne rejoindraient plus jamais — certains de ceux qui restaient pouvant penser qu’ils avaient profité de la nuit de juillet pour s’enfuir, ne plus les aimer, les oublier dans un des bals qui se prolongeaient ; tournés vers les formes des avions, ravagés par la honte, pleurant en secret sur le voyage de retour dont ils avaient rêvé — ce n’était pas très loin, à quelques centaines de mètres, dans l’autre terminal, le comptoir d’enregistrement, dont d’autres s’approcheraient à treize heures, les bras pleins de cadeaux, de valises, lourdes bien sûr, pleines de choses pour faire plaisir, et aussi ce paquet, cette lettre que quelqu’un, venu exprès à l’aéroport, leur tendait sur le bord et qu’il leur demandait de remettre au pays ; (…) »

 Cela aurait pu être l’une des retranscriptions littéraires possibles des propos d’une Nadine Morano ou d’un Manuel Valls sur la place d’un marché ; on se met à imaginer à quoi aurait pu ressembler le premier roman du publicitaire qui a conceptualisé le « Y’a bon » de Banania : ç’aurait été vraisemblablement du même ordre. Non pas que l’interprétation en soit semblable, au contraire : nous sommes simplement pris de vertiges en constatant que les représentations restent identiques : les racines, le pays d’origine, l’idée de la communauté première et dernière… Un évangélisme de bas-étage.

La beauté formelle disparait derrière semble-t-il l’embarras même de l’écrivain qui ne sait plus quoi dire sur le thème de son propre livre

 Malheureusement, au lieu de porter un regard singulier sur l’immigration, dans une écriture, à juste titre, absolument libre et virtuose chez Pancrazi, nous l’observons page après page se complaire dans des banalités, s’en détourner parfois par sursauts en étendant, encore plus, sa phrase, mais pour retomber ensuite dans les lieux communs les plus désespérants. La beauté formelle disparait derrière semble-t-il l’embarras même de l’écrivain qui ne sait plus quoi dire sur le thème de son propre livre. Cela donne une improvisation quelque peu hasardeuse sur tout et n’importe quoi autour des pensées et des sensations de Mady, les unes venant toujours secourir les autres pour repousser à plus tard l’échec d’une voix qui aurait pu être signifiante.

  • Indétectable, Jean-Noël Pancrazi, Gallimard, 27 février 2014, 144 pages, 13,90 euros.