Bernard Chambaz
Bernard Chambaz

Eté 2011, Bernard Chambaz enfourche son vélo pour traverser les Etats-Unis d’Est en Ouest. Un voyage raconté à l’aide de sa mémoire dans son dernier livre: « je suis parti avec l’idée que la traversée n’avait un sens réel que si j’en faisais ce livre». 5000 km retracés dans Les dernières nouvelles du martin-pêcheur. Un oiseau plus que symbolique pour l’écrivain… Rencontre. 

Janvier 2014
15 Janvier 2014

L’oiseau, cet « être joyeux » avec lequel Bernard Chambaz avoue avoir un « lien fort ». Le martin-pêcheur qui renvoie inévitablement au prénom de son fils Martin, disparu il y a plus de 20 ans, laissant le couple « orphanos ». Orphanos, ceux qui ont perdu un enfant. Une traversée où l’écrivain se souvient de son fils, tantôt respirant dans l’herbe le sourire bagué, tantôt en train de pédaler comme lui. Le vélo, appelé « kingfisher » dans le roman, c’est « sa drogue douce »  avoue l’écrivain : « cela produit des endorphines qui tendent à rendre heureux ». Une transcendance qui l’aide à rejoindre Martin. Cinq semaines à pédaler entre l’oubli et le souvenir. Un voyage ponctué par des rencontres : « j’avais envie de parler de ces américains d’aujourd’hui, j’avais envie de déconstruire le stéréotype du fermier américain ». Les destins de personnages furtifs comme ces motards en Harley ou ces soldats revenus d’Irak qui apparaissent et disparaissent pour laisser place à Martin.

Pédaler à travers l’Histoire américaine.

L’auteur se fait guide de l’Amérique : anecdotes de la ville de Kodak ou évocation du chanteur des Led Zeppelin, Robert Plant. Il balaie l’Histoire en foulant les terres américaines et comptant les kilomètres. Le lecteur est agréablement installé sur son porte bagage, et vit les mêmes sensations que son pilote. Au delà de l’épreuve physique et des climats parfois extrêmes, l’auteur délecte nos sens : la chaleur de la Vallée de la mort, le relief ardu des Rocheuses, les longues plaines du Midwest, …  Des paysages avec pour fond sonore le jazz de Charlie Parker. L’Histoire américaine des Roosevelt, eux aussi « orphanos », l’aviateur américain Charles Lindbergh lui aussi… « c’est aussi un roman sur les parents qui ont perdu un enfant ».

Orphée à Los Angeles

Un deuil voyageur et léger, à la recherche de l’ombre de Martin. Un bijou d’évasion et une bouffée de sensibilité.

Bernard Chambaz nous offre aussi sa poésie : la mythologie qui rayonne par noms de villes aux résonnances grecques, comme Troy ou Ithaque. Un rapport à la mythologie et l’Antiquité justifié par l’ancien professeur d’Histoire : « L’Histoire américaine et l’Antiquité qui sont évoqués dans mon livre prouvent mon attachement à l’Histoire. Je suis touché de voir que les sentiments humains d’aujourd’hui ont déjà été exprimés dans l’Iliade ou l’Odyssée ». Et la référence au mythe d’Orphée qui part à la conquête de l’être cher perdu. Pédaler vers Los Angeles, la ville des anges, qui signe des retrouvailles avec Martin. Martin qui vole près de lui, tout comme sa femme Anne qui l’accompagne en Cadillac rouge. Ecrire pour se souvenir. « Ce livre a été salvateur, mais dans son sens étymologique du salut, c’est comme un bonjour, montrer que je suis encore en vie. C’est une façon de saluer au loin Martin ».  Si le roman oscille entre les souvenirs  et les hallucinations poétiques de ce fils perdu, le narrateur promet : « même si c’est un livre sur le deuil, je voulais montrer que le deuil est compatible à la joie. Je ne veux pas d’un livre triste ».  Un deuil voyageur et léger, à la recherche de l’ombre de Martin. Un bijou d’évasion et une bouffée de sensibilité ; on espère avoir de prochaines nouvelles poétiques de Bernard Chambaz.

  • Les dernières nouvelles du martin-pêcheur de Bernard Chambaz, Flammarion, 15 Janvier 2014, 19 euros

Marie Gicquel