Tony Hawk, le grand romancier américain
Tony Hawk, le grand romancier américain

Nouvelle carte blanche du romancier Clément Bénech, auteur de L’été slovène, pour Zone Critique. Aujourd’hui, De la lecture considérée comme une promenade en skateboard. 

Récemment, je lisais De la destruction [1], l’essai de W. G. Sebald sur la démolition de l’Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale, un sujet rarement abordé (et que Sebald rend assez glaçant). Je n’aurais probablement pas lu spontanément un tel essai s’il n’était pas signé de sa plume, car je n’ai aucun intérêt particulier pour cette période ni d’ailleurs pour les essais de manière générale. Ainsi, me disais-je, j’ai été amené à m’intéresser à quelque chose vers quoi je ne me serais pas naturellement dirigé, parce que j’espérais prolonger un peu le plaisir que m’avait procuré la lecture de ses romans. De même que les fans de Rihanna se sont penchés par la force des choses sur le problème de l’éjection des balles de ping-pong par le vagin dans les spectacles thaïlandais [2]. J’extrapole légèrement.

L’élan

Toujours est-il que je venais de faire l’expérience de l’élan. Un élan qui emmène au-delà de la distance que l’on visait initialement. Cet élan peut exister à l’échelle d’une œuvre, comme ce fut le cas en l’occurrence (puisque de l’énergie que j’avais employée à aimer les romans de Sebald, il me restait suffisamment pour lire encore ses autres livres pour lesquels j’aurais eu moins d’affinités dans l’absolu) ; mais il peut aussi exister à l’échelle d’un roman, et c’est ce cas qui m’intéresse ici.

On peut imaginer qu’un roman est constitué de fragments cousus les uns aux autres et que leur degré de difficulté diffère (sur une échelle qui va du page-turner aux passages avec des équations du douzième degré dans le roman de Cédric Villani, Théorème vivant). Or il me semble qu’un écrivain, lorsqu’il publie un roman — et non pas nécessairement dès l’instant où il l’écrit —, forme implicitement le vœu que son livre ne sera pas refermé par le lecteur avant la dernière ligne [3]. C’est pourquoi la lecture d’un roman s’apparente à une promenade en skateboard.

La longue pente du roman

Il faut imaginer un skateur à l’aplomb d’une très longue piste (Sebald évoque la longue pente du roman) et avoir pour postulat qu’il ne doit pas la quitter avant d’être parvenu à la ligne d’arrivée. C’est une piste qui n’est pas plane mais tantôt montante, tantôt descendante. On voit donc bien qu’il lui est plus bénéfique de commencer en descendant pour prendre de l’élan (ce qui pourrait ressembler à un début in medias res en littérature, avec de l’action, des personnages, etc.) pour pouvoir ensuite aborder de longs plats ou carrément des montées (passages très descriptifs, ou encore philosophiques ou métaphysiques comme par exemple chez Kundera).

En effet, je suis plus prompt à accepter de lire de longues descriptions si elles sont susceptibles de contenir des éléments propres à la marche du récit : c’est pourquoi elles gagnent à ne pas être au tout début du roman, avant l’attachement aux personnages. Mais d’aucuns parient sur des lecteurs casse-cou. Dans Histoire de ma sexualité, le dernier roman d’Arthur Dreyfus, on lit cette phrase d’un écrivain (dont le prénom a été changé) : « Je commence toujours mes romans par soixante-dix pages ennuyeuses pour décourager les cons. » Audacieux, non ?

« Je commence toujours mes romans par soixante-dix pages ennuyeuses pour décourager les cons. »

Cette vision de la lecture comme promenade en skateboard suppose ainsi qu’il y a des morceaux d’un roman que l’on veut transmettre à tout prix en écrivant, dussions-nous les mettre à la fin pour profiter de l’énergie qui y a été investie jusqu’alors. Car c’est la seule manière parfois de permettre au lecteur de les ingérer. Par analogie, on peut aussi utiliser cette métaphore de la promenade en skateboard pour expliquer les phénomènes de tolérance dans le cadre d’un récit de fiction qui utilise les codes du réel. Un récit qui a donné maint signe de sa véracité peut faire plus facilement gober des choses invraisemblables, vacuoles de fictions emportées dans le flot de la crédulité.


[1] Publié récemment en poche chez Babel.

[2] http://www.melty.fr/rihanna-decouvre-un-sex-show-en-thailande-et-fait-fermer-un-bar-malgre-elle-a219738.html

[3] http://clementbenech.tumblr.com/post/81298695572/lhorizon

Les premiers fans de Rihanna enfin identifiés.
Les premiers fans de Rihanna enfin identifiés.