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Christophe Donner

Avec Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive, Christophe Donner entremêle vérité et fiction. Il utilise des faits réels pour broder la vie décousue de trois figures du cinéma français des années soixante – soixante-dix : Jean-Pierre Rassam, Claude Berri et Maurice Pialat.

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août 2014

Christophe Donner ouvre son livre par une déflagration ayant réellement eu lieu. Celle du fusil du producteur de cinéma Raoul Lévy, venu harceler Isabelle Pons devant sa porte le 31 décembre 1966. La jeune femme de 22 ans ne veut pas lui ouvrir, lassée de ses promesses à propos d’un film « qui va faire sa gloire, sa fortune », elle qui n’a pourtant « aucune ambition de starlette ». Raoul Lévy cogne sans relâche avec la crosse de son fusil sur la porte tropézienne, jusqu’à l’accident, le coup fatal.

A quoi rime cette ouverture ? Est-elle le symbole de la violence du monde du cinéma ? Le rappel qu’un accident est vite arrivé pour ces producteurs assoiffés de gloire, de belles actrices et d’argent ? Un avertissement pour Jean-Pierre Rassam, la figure centrale du roman et qui va bientôt rejoindre ce clan de jeunes loups ?

Un titre d’Orson Welles

Pour son titre, Christophe Donner a choisi une phrase d’Orson Welles que « quelqu’un » lui a rapporté « il y a longtemps ». Il résonne comme un nouvel avertissement aux trois figures du cinéma français dont l’auteur va fantasmer la vie. Trois hommes liés par deux femmes : Jean-Pierre Rassam, producteur, dont la sœur Anne-Marie va épouser le réalisateur Claude Berri. La sœur de celui-ci, Arlette, partagera, elle, la vie du cinéaste Maurice Pialat.

Pendant 300 pages, l’auteur va adopter le même rythme que celui mené par Rassam dans sa vie : effréné. L’écrivain réalise une plongée dans l’agitation parisienne des années soixante – soixante-dix qui a secoué le cinéma français avec le flamboyant Jean-Pierre comme fil conducteur.

Au moment où Raoul Lévy se vide de son sang, Jean-Pierre Rassam est lui à Paris. Il joue au poker dans un appartement parisien rempli de caviar, de champagne et de drogues. Ou plutôt, il plume ses adversaires. Une constante chez ce riche français d’origine libanaise qui n’aura de cesse de suivre son mantra : gagner plus d’argent que ses concurrents, de préférence en leur prenant leurs biffetons.

A sa table, Claude Berri, « un acteur qui commence à perdre ses cheveux » et qui a déjà gagné un oscar en 1966 pour son court-métrage Le Poulet, un titre dont Rassam se moquera régulièrement. Berri a donc déjà un pied dans le monde du cinéma, même si « ça fait dix ans qu’il rame ». Il a rencontré Maurice Pialat une dizaine d’années auparavant et l’a « tout de suite aimé, comme un enfant qui s’installe aux pieds d’une idole ».

Je t’aime moi non plus

Les deux hommes tentent de réaliser un film ensemble, Janine. Pialat est derrière la caméra, Berri devant, et tout s’écroule. « Pialat gueule, martyrise, Berri pleurniche ; entre les deux amis, les pots se cassent, le cinéma était leur passion commune, leur moyen de conquérir le monde, ensemble, mais faire un film ça n’a rien à voir avec ‘la passion du cinéma’, c’est un métier qui ne pardonne pas. »

La fracture est là. Jean-Pierre Rassam va s’y engouffrer en séduisant Berri. « C’est Maurice en vainqueur, en friqué, Claude pense sans cesse à Maurice dont il voudrait chasser le souvenir inévitable, il compare, et l’heureuse différence, c’est l’énergie de Rassam, et le je-m’en-foutisme. » Rassam décide d’écouler les pétro-dollars de son père dans la pellicule et devient le producteur de Claude Berri puis, plus tard, de Pialat.

Christophe Donner va donc relater le parcours du trio, dont les lignes de vie vont se mêler, se séparer puis se recroiser

Christophe Donner va donc relater le parcours du trio, dont les lignes de vie vont se mêler, se séparer puis se recroiser. Avec, en toile de fond, des ambitions démesurées, de l’envie et des jalousies. « Vous savez ce que c’est, vous, le talent ? » demande Pialat à Rassam le jour du mariage de Claude Berri et d’Anne-Marie Rassam. « Quelque chose qu’on ne pardonne pas » lui répond-il, cinglant.

Pas facile de démêler le vrai du faux… L’auteur détaille à la fin de l’ouvrage les livres dont il s’est inspiré. Dans une interview à Paris-Match, il explique : « Je m’autorise des transgressions. Cette confusion est jubilatoire, elle met en éveil la question de la véracité, du vraisemblable et du vivant. Il y a les faits et leur interprétation. J’ai lu les bios, rencontré des proches, fait ma petite cuisine… »

Le livre sera passionnant pour les lecteurs avides de cinéma. Pour les autres, il n’est pas dénué d’intérêt et on peut facilement se laisser embarquer dans la fougue et la folie de Rassam même si l’on ne fréquente pas assidûment la Cinémathèque française.

  • Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive, Christophe Donner, Grasset, 300 pages, 19 euros.
Jean-Pierre Rassam et Carole Bouquet © GINIES/VILLARD/SIPA
Jean-Pierre Rassam et Carole Bouquet
© GINIES/VILLARD/SIPA

 Lola Cloutour