vitriol rosicrucian inner earth symbol

Zone Critique vous entraîne à la découverte des rapports qu’entretiennent les traditions de l’alchimie et de la Franc-maçonnerie, à l’occasion de la parution du dernier ouvrage consacré a la Franc-maçonnerie de Guy Piau, L’oeuvre au rouge

2014
Novembre 2014

Il peut paraître, de prime abord, curieux de trouver la critique d’un ouvrage traitant d’alchimie et de franc-maçonnerie, une œuvre ésotérique donc, dans une revue littéraire.

Ce serait oublier que l’ésotérisme et l’art nous ramènent  immanquablement à la question de la condition humaine. Les cérémonies initiatiques, quelles que soient les traditions, sont des psychodrames, des mises en scène mythologiques durant lesquels les initiés jouent des rôles précis. Ils deviennent par là-même des héritiers,  c’est ainsi que le chantier peut reprendre et que la tradition perdure. Le mythe est essentiel, il est le vecteur à travers les siècles des grands questionnements existentiels de l’humanité, quelles que soient les civilisations.

L’amour, le pouvoir, le courage, la peur…, l’ensemble des passions humaines, c’est là l’objet d’étude de l’art sous toutes ses formes, le théâtre, la littérature, la peinture…, mais aussi des traditions ésotériques et initiatiques.

Nombreux sont les écrivains qui ont exploré les arcanes mystérieuses en quête d’imaginaire et de poésie. Dante, membre de la société secrète « Les Fidèles d’Amour » est un parfait exemple. Sa Divine Comédie est une œuvre à clés tout autant initiatique que poétique. Les romantiques, les symbolistes…, mais surtout les surréalistes ont suivi la même voie. André Breton était féru d’ésotérisme, il a en particulier utilisé les symboles alchimiques et les images du tarot divinatoire comme source d’inspiration artistique et littéraire.

Alchimie et franc-maçonnerie

Mais de quoi parle-t-on au juste ? La question mérite d’être posée alors que les médias abreuvent les consommateurs de sensations frelatées d’histoires de complot et d’illuminati.

Que l’alchimie fut une pratique opérative, fructueuse ou vaine, est une évidence historique. En revanche, Guy Piau pose une question fondamentale  dans son ouvrage : L’alchimie est-elle une opération spéculative, une quête spirituelle ? Existe-t-il un message hermétique ? Si oui, quid des rapports entre l’alchimie et la franc-maçonnerie ?

Tout d’abord, nous pouvons constater que les termes communs aux traditions maçonnique et hermétique sont nombreux. Ainsi, le Grand Œuvre ou l’Art Royal (la couronne est un élément récurrent de l’iconographie hermétique) sont des mots employés tant par le maçon que par l’alchimiste pour désigner leur quête respective.

On connaît l’importance du symbole en franc-maçonnerie, ce langage universel est également fort prisé des alchimistes. Nombre d’œuvres hermétiques parmi les plus célèbres, sont purement iconographiques. C’est le cas, par exemple, du « Mutus Liber » ou des 17 figures attribuées à Jean Conrad Barchusen abondamment cités par Guy Piau.

Le soleil, la lune et les étoiles qui ornent nos temples maçonniques sont également des symboles alchimiques. Le soleil représente le principe mâle ; le souffre, tandis que la lune est le principe féminin ; le mercure. On verra ultérieurement que les «noces chymiques» du souffre et du mercure ne sont autres que le Grand Œuvre, et comment il est possible d’y reconnaître un des buts de la franc-maçonnerie.

Sept étoiles symbolisent les 7 distillations nécessaires à l’alchimiste pour réussir le Grand Œuvre. On retrouve ici la symbolique des nombres chère à toute tradition initiatique. Le nombre 7 est le nombre de la perfection, de l’éternité.

Notons enfin, que les 4 éléments et la pierre jouent un rôle fondamental en alchimie et en franc-maçonnerie.

Il est possible, me semble-t-il, d’aller plus loin encore que le simple constat d’un langage commun entre l’alchimie et la franc-maçonnerie. Leur but et leur méthode sont les mêmes.

Le but du Grand Œuvre est le mariage du souffre (pôle masculin) et du mercure (pôle féminin) par l’action du sel ; principe neutre et élément ternaire qui scelle les deux autres.

La légende veut que l’alchimiste, au terme de sa quête, devienne hermaphrodite. L’importance du nombre 3 ; le ternaire qui permet de dépasser les oppositions en une nouvelle synthèse, se retrouve en maçonnerie afin de rassembler ce qui est épars. Un alchimiste a dit : « Le secret consiste à savoir convertir la pierre en aimant, qui attire, embrasse et unit cette quintessence astrale. ».

« L’un est aussi le tout. », selon la formule alchimique, «tout est un et tout se ramène à l’un. ». C’est là un enseignement initiatique important présent dans nombre de traditions.

On distingue deux sortes d’unités : l’unité initiale et l’unité finale, l’alpha et l’oméga, symbolisées par l’image célèbre du serpent qui se mord la queue, souvent présente dans les traités alchimiques. Du magma initial surgit l’ordre final, entre les deux, les alchimistes devinent tout le circuit de la matière transmuée.

Chacun sait que le but de tout alchimiste est de trouver la fameuse pierre philosophale. On s’est souvent perdu en conjectures pour deviner la nature réelle de cette pierre. Peut-être est-il possible d’y voir plus clair en raisonnant en maçon.

La pierre philosophale ne serait-elle pas la pierre taillée du maçon ? Ne symboliserait-elle pas l’adepte accompli ? Quelle différence entre passer du vil plomb à l’or alchimique et passer de la pierre brute à la pierre taillée ? Deux terminologies différentes peuvent fort bien traduire une même réalité.

En franc-maçonnerie, on comprend vite que la pierre n’est autre que le franc-maçon lui-même, et le travail initiatique un travail sur soi.

De leur côté, bien des alchimistes ont reconnu que la coction finale avait lieu simultanément dans l’athanor de briques et dans celui du cœur. Jung, qui s’est intéressé à l’alchimie, pensait que l’œuvre opérative n’était que la projection de l’œuvre intérieure. L’artiste et l’œuvre, à l’instar du temple intérieur et du temple extérieur, ne font qu’un.

Il apparaît donc que le but de l’alchimie semble bien être le même que celui de la franc-maçonnerie, à savoir : le perfectionnement constant de l’initié. Voyons maintenant ce qu’il en est de la méthode.

Oswald Wirth estimait que l’initiation maçonnique, en particulier l’épreuve de la terre, résumait l’essentiel du processus alchimique.

Lors de l’initiation maçonnique, le récipiendaire est tout d’abord dépouillé de ses métaux. La première opération alchimique consiste à débarrasser la matière première, nous parlerions nous de la pierre brute, de toutes ses impuretés. Ensuite, le futur franc-maçon est placé dans le cabinet de réflexion où il mourra en tant que profane. En alchimie, la putréfaction ou œuvre au noire, se déroule dans l’œuf philosophique hermétique, scellé. L’hermétiste Jacob précise que «la fin du Grand Œuvre est de se débarrasser, quand il le voudra, de la chair corruptible sans passer par la mort. ». Au sein du cabinet de réflexion se trouvent de nombreux symboles alchimiques. A commencer par le sel, le souffre et le mercure ; éléments essentiels du Grand Œuvre dont le rôle a été évoqué précédemment. N’oublions pas le coq qui annonce le lever du soleil et qui, selon Fulcanelli, symbolise un autre élément alchimique ; le vif argent.

Enfin, bien sûr, la célèbre formule alchimique « V.I.T.R.I.O.L.» ; visita interiora terrae, rectificando invenies occultum lapidem. Pour les non latinistes, dont je suis, visite l’intérieur de la terre et en rectifiant tu trouveras la pierre cachée. On a vu que le franc-maçon et l’alchimiste étaient à la fois maître d’œuvre et matériau, la formule « V.I.T.R.I.O.L. », qui invite à l’introspection  indispensable à toute initiation va dans ce sens. J’ai évoqué Jung, ici le parallèle avec la psychanalyse s’impose. N’est-ce pas en visitant les profondeurs de l’Homme, dans les ténèbres intérieures, que le psychanalyste va chercher la lumière, la vérité de l’être ?

Chaque épreuve de l’initiation maçonnique correspond à une étape du processus alchimique.

L’épreuve de l’air : Le subtil se dégage de l’épais.

L’épreuve de l’eau : La purification par l’eau, la distillation ou œuvre au blanc.  L’épreuve du feu correspond à la calcination, l’œuvre au rouge qui annonce l’aboutissement du Grand Œuvre.

L’initiation maçonnique et l’œuvre alchimique peuvent se résumer en une suite de purifications successives tendant à la pureté absolue.

L’initiation maçonnique et l’œuvre alchimique peuvent se résumer en une suite de purifications successives tendant à la pureté absolue.

 On peut également noter que le travail de l’alchimiste, tout comme celui du maçon, doit s’effectuer à couvert ; condition sine qua non de la réussite du Grand Œuvre. Ainsi de nombreux auteurs hermétistes soulignèrent le fait qu’il doive toujours y avoir à la porte du laboratoire, une sentinelle armée d’un glaive flamboyant pour examiner tous les visiteurs et renvoyer ceux qui ne sont pas dignes d’être admis. Le rapprochement avec le frère couvreur et le tuilage est évident.

En conclusion, il semble légitime de penser que l’alchimie est bien une philosophie initiatique et qu’il existe effectivement un message hermétique, un but et une méthode assez proches de ce que nous connaissons en maçonnerie. L’alchimie étant historiquement antérieure à la franc-maçonnerie spéculative, on peut en déduire que l’hermétisme a inspiré les premiers maçons.

« L’œuvre au rouge » passionnera sans doute celui qui sera déjà engagé sur la voie maçonnique ou sur le chemin hermétique. En revanche il déconcertera le lecteur profane puisqu’il étudie ce qu’il est convenu d’appeler les « hauts grades » maçonniques qui ne s’adressent qu’aux francs-maçons déjà bien avancés dans l’initiation. Par ailleurs, il serait dommage de déflorer certains symboles et rituels au risque de priver le futur récipiendaire d’émotions extraordinaires au sens propre du terme.

L’auteur, qui cite de larges extraits des rituels du rite écossais ancien et accepté (le rite maçonnique le plus pratiqué de par le monde) eut été bien inspiré de se remémorer les propos d’un illustre auteur et franc-maçon, Casanova, qui écrivait : « Le secret de la maçonnerie est inviolable par sa propre nature, puisque le maçon qui le sait ne le sait que pour l’avoir deviné. Il ne l’a appris de personne. Il l’a découvert à force d’aller en loge, d’observer, de raisonner et de déduire. Lorsqu’il y est parvenu, il se garde bien de faire part de sa découverte à qui que ce soit, fût-ce à son meilleur ami maçon puisqu’il n’a pas eu le talent de le pénétrer, il n’aura pas non plus celui d’en tirer part en l’apprenant oralement. Ce secret sera donc toujours secret. »

  • L’oeuvre au rouge, Guy Piau, Pierre-Guillaume de Roux, 26.9 €, novembre 2014

Christophe Bitaud