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Vincent Lindon, superbe interprète du rôle de Thierry, vigile de supermarché. (© Nord-Ouest Films – Arte France Cinema)

Dans La loi du marché, fiction frôlant le documentaire, Stéphane Brizé raconte la violence du monde de l’emploi, aussi bien pour les chômeurs que pour les salariés. Sa caméra suit le parcours de Thierry, remarquablement interprété par Vincent Lindon.

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19 mai 2015

Stéphane Brizé conte une histoire extrêmement simple. Un quinquagénaire, Thierry, est au chômage depuis de longs mois. Entre formations inutiles et cours de coaching à Pôle Emploi, il ne s’en sort pas. Il tente de garder la tête haute au quotidien à la maison, avec sa femme et son fils handicapé. Un jour, il accepte un emploi de vigile dans un supermarché, métier bien éloigné de celui d’ouvrier qu’il avait auparavant.

Le scénario est là, tout est dit. Mais Stéphane Brizé transforme une histoire somme toute assez banale, en un très beau film, presque à la frontière du documentaire, porté pas la magnifique interprétation de Vincent Lindon, omniprésent à l’écran.

L’enfer du chômage

La loi du marché s’ouvre sur un entretien à Pôle Emploi. Thierry Taugourdeau est au chômage depuis plusieurs mois ; il sort d’une formation de grutier. Inutile, puisqu’il n’a jamais travaillé sur un chantier : aucun employeur ne le recrutera. « N’envoyez pas les gens faire un stage si vous savez que y aura rien à l’arrivée ! Faut pas faire n’importe quoi avec les gens ! » s’énerve-t-il face au conseiller. « Dans neuf mois j’aurai que l’ASS, comment je fais pour vivre avec 500 euros ? »

Le ton est donné. Dès cette entrée en matière, filmée dans un bureau étriqué et sans âme, Thierry nous emporte dans son combat. Un combat pour retrouver un emploi, un salaire et une légitimité sociale. Un combat qui passe obligatoirement par les arcanes de Pôle Emploi, les envois de CV et les entretiens.

Thierry est d’ailleurs convoqué pour une rencontre virtuelle, par Skype. L’exercice de quelques minutes tourne à l’humiliation. Le recruteur explique au chômeur qu’il trouve son CV « pas clair ». De plus, Thierry « a très peu de chances d’être pris ». Quand celui-ci lui demande s’il pourra le recontacter pour avoir une réponse, le recruteur s’exclame : « Surtout pas ! » Tout se fera pas mail, comme si le travailleur ne valait pas mieux que quelques lignes sur un écran.

Pour composer son rôle, Vincent Lindon a rencontré de nombreux employés ayant subi un entretien par ordinateur et décrit une « violence terrible ». « On vous dit ‘au revoir’ au bout de 5 à 6 minutes, puis l’écran s’éteint et vous êtes seul chez vous, en attente ». Alors Thierry s’occupe. Il bricole, fait le ménage.

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A Pôle Emploi, Thierry affronte des cours de coaching collectif (© Nord-Ouest Films – Arte France Cinéma)

Jusqu’au jour où il atterrit, en costume, dans un supermarché. Il a trouvé un emploi de vigile. Que ce soit dans les allées du magasin ou devant les écrans des caméras de surveillance, il doit tout surveiller : les clients susceptibles de voler des produits, mais aussi les caissières qui peuvent oublier de scanner des produits ou qui récupèrent les bons de réduction abandonnés par les acheteurs. Thierry va alors devoir trancher entre sa morale et son emploi.

La violence de la loi du marché

Car que faire quand un vieux monsieur vole un steak qu’il ne peut pas payer ? Que faire quand vous vous retrouvez face à votre propre collègue qui a engrangé quelques points supplémentaires sur sa carte de fidélité car un client n’en avait pas ? Les « voleurs » sont emmenés dans une petite pièce dans le sous-sol du supermarché. Entre les murs sales, une simple table. Pas de fenêtre. Un néon crépite. Cette laideur, cette froideur, sont comme le reflet de la violence de la loi du marché subie par Thierry.

La réussite du réalisateur est de faire comprendre tout l’enjeu de son film sans se perdre en paroles inutiles

La réussite du réalisateur est de faire comprendre tout l’enjeu de son film sans se perdre en paroles inutiles. Thierry est un taiseux. Sous sa moustache, il sourit peu et les rides sillonnent souvent son front. Chez lui, les repas sont silencieux. Quelques moments partagés avec sa femme sont dévoilés : les cours de rock sur la musique de Jean-Jacques Goldman ou la négociation de la vente de leur bungalow. Thierry ne s’apitoie jamais ; il encaisse, mais tente toujours de rester digne.

Stéphane Brizé a voulu « faire un film qui parle de notre monde, qui témoigne des drames d’aujourd’hui ». En évitant tout pathos, lui et Vincent Lindon ont brillamment réussi.

  • La loi du marché de Stéphane Brizé, avec Vincent Lindon, en compétition officielle au Festival de Cannes 2015, 19 mai 2015

Lola Cloutour