© Pascal GELY

Une belle saison débute au théâtre de Poche-Montparnasse avec la mise en scène des Voisins de Michel Vinaver, par Marc Paquien. Une pointe d’humour dans le grave, Les Voisins n’est pas un spectacle de cancans de quartier mais l’apparence de la banalité, le désordre dans le quotidien, ou comment faire d’une terrasse commune, le lieu de déploiement de quatre vies en mettant en valeur leurs rapports étroits.

Les voisins
Un plateau minimaliste avec, de chaque côté, deux façades blanches en forme simplifiée de maison et un entre-deux, une terrasse commune. C’est là que se retrouvent Blason et Laheu, Les Voisins, avec leur fils et fille respectifs, Ulysse et Alice (ça glisse). Ensemble, ils discutent, trinquent, se confient, partagent des moments drolatiques comme d’autres plus douloureux. En effet, la scène d’ouverture présente une réunion de deuil : la chienne Elisa est morte. Les Laheu et les Blason sont assis autour d’une table ; à eux quatre réunis, ils sont un reflet aisément reconnaissable du monde contemporain. Tenus dans leurs petites habitudes de proximité, ils bavardent. Mais, quel intérêt ? L’intérêt est ailleurs, l’intérêt de Michel Vinaver est le travail de « l’entre-deux ».

Une focalisation sur « l’entre-deux »

Cet espace qu’est la terrasse est symbolique. Michel Vinaver citait ainsi à l’envi George Braque dans une série d’entretiens avec Jacques Charbonnier: « Il y a des gens qui disent : « Que représente votre tableau ?… Quoi ? … Il y a une pomme, c’est entendu, il y a … je ne sais pas… ah ! une assiette, à côté… » Ces gens-là ont l’air d’ignorer totalement que ce qui est entre la pomme et l’assiette se peint aussi. Et, ma foi, il me paraît tout aussi difficile de peindre l’entre-deux que les choses. Cet « entre-deux » me paraît un élément aussi capital que ce qu’ils appellent « l’objet ». C’est justement le rapport de ces objets entre eux et de l’objet avec l’ « entre-deux » qui constitue le sujet. »

Michel Vinaver s’intéresse davantage aux rapports entre les individus qu’à l’intrigue elle-même. La terrasse est donc un prétexe, un prétexte de rencontre. Le dramaturge juxtapose les actions, les paroles ; il fait s’entrelacer des bribes de conversations, énoncées dans une sorte d’instantanéité qui peut, de prime abord, décontenancer le spectateur. Mais à partir de ce désordre apparent, se construit peu à peu une histoire qui laisse découvrir le caractère de chaque personnage. Aussi lorsque la maison de Blason est cambriolée, Laheu et son fils sont les premiers sur la liste des suspects. On entend Ulysse se défendre à demi-mots, « si Elisa était là, elle aurait aboyé » et les aboiements de la chienne-fantôme au loin. Blason s’emporte volontiers dans une rage folle, et son visage devient aussi rouge que le vin de son verre, face à un Laheu à l’air innoffensif et déboussolé. On ne saurait dire lequel manipule l’autre. Mais, à l’image d’un roman policier, lentement, les pièces du puzzle s’imbriquent, on trouve des indices. C’est ce que Michel Vinaver appelle une « pièce-machine » ; l’action se fait par enchaînements de causes et d’effets. En cela, la mise en scène de Marc Paquien accompagne la dramatisation du propos: chaque fin de tableau est ponctué par une musique grave et les personnages se figent en même temps que la lumière baisse progressivement d’intensité.

A la fois individus et membres d’une collectivité (celle de la copropriété), les Laheu et les Blason se déchireront, et finalement se réconcilieront.

A l’image d’un roman policier, lentement, les pièces du puzzle s’imbriquent, on trouve des indices.

Le quotidien comme matériau dramatique

Les choses ne sont jamais plus vraies quand on sait qu’elles existent dans notre quotidien. Michel Vinaver fait surgir de l’inintéressant, des éléments qui progressivement donnent un sens à ce que l’on est, ce que l’on fait, ce que l’on ressent. Il a « l’art de dire des grandes choses avec des mots simples » s’exprime le metteur en scène Marc Paquien. En effet, Les Voisins relève de la démesure, mais d’une démesure toujours à hauteur d’homme. Même si sous certains aspects, on pourrait rapprocher cette pièce du genre de la tragédie classique – le respect des trois unités, le clin d’oeil au mythe à travers l’usage du prénom Ulysse – ou de la comédie moliéresque avec la présence des deux pères et leurs enfants qui s’aiment, Les Voisins n’exprime rien d’autre que le désir d’expansion, et ce désir même ne peut se réaliser sans argent. Les lingots d’or de Blason, le projet de restauration rapide d’Alice et Ulysse en sont autant de preuves. L’ambition des personnages justifierait les coups bas et les actes déréglés au règne de l’individualisme et du tout puissant “Dieu argent”.

Bien que le dénouement de la pièce laisse en suspension toute morale, le Voisin, qui est aussi l’allégorie d’Autrui, est là pour nous aider à ouvrir les yeux sur nous-même et sur le monde.

  • Les Voisins de Michel Vinaver, mis en scène par Marc Paquien, au théâtre de Poche-Montparnasse, à partir du 4 septembre