Une laborieuse entreprise 1
© Jean Henry

Yona et Leviva Popokh sont mariés depuis trente ans. Trente ans de mariage, trente ans d’amour mais principalement de disputes, de plaisirs à petit prix, de rêves ressassés et déjà périmés bref de train-train quotidien qui dit aussi déception(s) et ennui. C’est le thème d’une Laborieuse entreprise du génialissime dramaturge israélien Hanokh Levin, mis en scène par Myriam Azencot dans la petite salle du théâtre de Poche-Montparnasse. Et puis un jour, le couple éclate… 

AFF-LABORIEUSE-ENTREPRISE1
Alors que Leviva, attirée par la fraîcheur de la nuit, s’était confortablement endormie sur la terrasse, Yona la pousse brutalement. Il l’insulte, cette « abrutie », « ce tas de viande », « ce cul » ; il exige de la quitter. Partir sur le champ et laisser derrière lui cette vie de couple maussade qu’il a menée jusqu’à présent. Mais Leviva, bien sûr, ne l’entend pas de cette oreille. Pourquoi l’abandonner maintenant après le sacrifice de trente années ? – une de plus, une de moins finalement, qu’est-ce que c’est quand on aspire au confort éternel ? – elle, qui le connaît si bien, qui incarne la ménagère modèle, celle des publicités américaines des années 50, consécration de la consommation de masse. Oui, mais Yona est bercé par l’illusion que l’herbe est plus verte ailleurs, frappé par une envie subite, comme une lueur de lucidité, de fuir la routine et ses gestes redondants. Tout de mauvaise foi qu’il est, Yona accuse également Leviva de l’avoir empêché de réaliser ses ambitions et prend ce prétexte parmi tant d’autres pour appuyer sa décision.

Leviva apparaît alors bien, dans un premier temps, démunie. Cependant, elle reste persuadée que le réel problème n’est pas la lassitude ou le désœuvrement mais la fuite du désir. Sur fond de musique langoureuse italienne, elle éblouit le public par une parade sensuelle et théâtrale mais Yona n’est pas conquis. Et tout à coup, arrive un voisin, Gounkel, un être seul et désemparé, qui vient chercher un peu de réconfort auprès du couple « ami ». Ce personnage à l’attitude enfantine, remet en question l’apparente tranquillité de l’union Yona-Leviva. Il est finalement le seul témoin de leurs débats fielleux et c’est à ce moment-là que le couple semble s’unir pour la dernière fois, en feignant un ébat sexuel perturbé par l’arrivée de cet étranger et une invitation à ce que chacun regagne son logement.

De la banalité à l’événement dramatique

Hanokh Levin parvient à faire d’une situation banale, un événement dramatique. Une Laborieuse entreprise traite en effet de la vie de couple sous l’angle de la tragi-comédie ; le verbe est d’une violence crue mais la force de caractère des personnages, leur fantaisie et leur insolence ne peuvent que provoquer le rire. L’humour de l’auteur se compose ainsi de notes tendres et amères – amères dans la façon d’aborder la quête du bonheur des petites gens et tendres parce Leviva restera fidèle à Yona, même après la mort. Le texte est parsemé d’expressions graveleuses et tranchantes qui s’associent avec génie à une réflexion sur la vie commune et plus largement les clivages que traversent la société israélienne.

Une Laborieuse entreprise traite en effet de la vie de couple sous l’angle de la tragi-comédie ; le verbe est d’une violence crue mais la force de caractère des personnages, leur fantaisie et leur insolence ne peuvent que provoquer le rire.

Une scénographie picturale

La scénographie est ainsi faite : suffisamment réaliste pour envisager l’espace d’une terrasse (espace symbolique qui rappelle Les Voisins de Michel Vinaver ndlr), qui se trouve au seuil d’une caravane où les Popokh ont l’habitude de partir en vacances mais particulièrement colorée et alors à l’image des sautes d’humeur, du « grand cirque » que peut être cette scène de ménage à rebondissements. La lumière tamisée permet de sentir l’atmosphère nuitale : plus intimiste et plus inquiétante, plus propice à l’intervention du surnaturel comme l’aime Hanokh Levin. Les protagonistes eux-mêmes ont les traits marqués par un maquillage épais pour une plus grande lisibilité de l’expressivité du visage. La coiffure de Leviva est démente, clownesque et la moustache de Yona, sans aucun doute, un clin d’oeil à Chaplin. Un vrai travail plastique est perçu pour servir le drame intérieur que traverse le couple. Comme l’écrit Myriam Azencot, le metteur en scène est « chargé d’écrire dans l’espace la parole de l’auteur » et c’est chose faite puisque l’écriture tout en nuances de Hanokh Levin se reflète dans les corps des comédiens et l’espace scénique.

  • Une laborieuse entreprise de Hanokh Levin, mis en scène par Myriam Azencot, au théâtre de Poche-Montparnasse jusqu’au 29 novembre