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Le nouveau roman de Nathalie Azoulai, Titus n’aimait pas Bérénice, s’attaque à un monument de la culture française : Jean Racine. Le titre, volontairement provocateur, interpelle le lecteur qui pense avoir (encore) affaire à un récit sentimental.  En réalité, ce roman tente une approche biographique originale sur Racine. Derrière la grandeur de son œuvre, le  dramaturge nous apparaît dans toute sa petitesse et sa fragilité à travers laquelle perce le cri de l’homme.

Titus
Séptembre 2015

L’histoire de Bérénice et Titus, jeunes amants du XXIème siècle, est traitée de manière secondaire alors même qu’elle est annoncée dès le titre. Si le début du roman peut sembler être une réécriture de l’oeuvre de Racine, Nathalie  Azoulai choisit d’exprimer les déchirements amoureux de ses personnages à travers leurs illustres homonymes.  Le prénom de l’héroïne, Bérénice, devient alors le point d’ancrage du roman.

Mettre des mots sur l’indicible 

C’est la souffrance universelle causée par une rupture amoureuse qui encourage Bérénice au début de l’œuvre à se plonger dans l’univers racinien. Très vite, les tragédies de Racine prennent le pas sur sa réalité. C’est à l’écart de ses « proches usés » que Bérénice entame sa convalescence auprès de Racine.  L’oeuvre tourne toute entière autour de la douleur. C’est elle qui guide Bérénice vers le grand écrivain et c’est à travers le regard de cette jeune femme que le lecteur se plonge à nouveau dans l’univers  racinien. A la grande surprise du lecteur, l’histoire qui semblait être celle de Titus et Bérénice s’efface au profit de celle du dramaturge. Il s’agit du récit quasi-linéaire de son enfance à Port-Royal, bastion du jansénisme, au salon mondain d’un Paris rayonnant, jusqu’à sa mort entouré de ses proches. La fiction se renouvelle pour faire voir de plus près la fonction cathartique de l’écriture.

La fiction se renouvelle pour faire voir de plus près la fonction cathartique de l’écriture.

La mise en abyme que nous propose l’auteure force l’admiration.  Elle confère au récit une épaisseur inattendue. Si l’on peut remettre en question la nécessité des scènes où Titus et Bérénice réapparaissent, qui semble perturber voire parasiter le rythme du récit, on peut néanmoins y lire une critique littéraire en action.

Racine, un génie humain

Racine n’a guère besoin qu’on le défende, cependant, on découvre la nécessité de se défendre des aigreurs de vie à l’aide de la langue racinienne. Ce roman rend à la littérature et au théâtre son caractère essentiel, originel. C’est d’abord parce que le théâtre révèle à l’homme sa nature qu’il est théâtre, c’est à dire le grossissement du réel. Racine ou « le supermarché des chagrins d’amour » tient son génie de sa nature : humaine. C’est en cela qu’il est Racine. Ainsi, Nathalie Azoulai souligne à travers son roman l’accessibilité des lettres en osant toucher Racine. C’est au moyen de son style vif et dépouillé qu’elle réactualise la grandeur de Racine. On découvre la plume de l’écrivain, qui, en plus de ne pas jurer avec la grandeur de l’alexandrin racinien, est en harmonie avec son sujet. Il ne s’agit pas d’une biographie, Nathalie Azoulai prenant une véritable distance avec l’Histoire, mais plutôt d’une recherche au plus près de cet homme tiraillé. Comment a-t-il pu concevoir « un vers qui épouse parfaitement le contours de (nos) humeurs, la colère, la déréliction, la catatonie » ?

C’est cette énigme que l’auteure va tenter de résoudre en se confrontant au mystère de la vie de Racine, « en s’emparant de ce marbre de ses pauvres petites mains». Il s’agit d’un « défi plein de dépit » que se lance Bérénice, véritable double de l’auteure. L’enjeu est de taille : tirer le secret de cette écriture, qui est « l’endroit où le masculin s’approche au plus près du féminin, rocher de Gibraltar entre les sexes. »

A travers une écriture sobre, minimaliste et poétique, Nathalie Azoulai redonne un visage nouveau et profondément humain à l’un de nos monuments. L’œuvre de Racine, considérée comme austère, témoigne des contradictions de son auteur, tiraillé entre le jansénisme dans lequel il a baigné toute son enfance puis son adolescence, sa fascination pour les femmes et enfin sa dévotion, son amour pour Dieu.

L’oeuvre de Racine résonne encore aujourd’hui

En signant ce roman, l’auteure nous permet de comprendre combien l’œuvre d’un prodige que rien ne destinait au théâtre et à la postérité, résonne dans la séparation d’un couple adultère à la terrasse d’un café. En faisant de Racine un « frère de douleur », on peut surmonter ces tragédies quotidiennes, les dépasser, les envisager avec un regard artistique.

Ce sixième roman de Nathalie Azoulai a été sélectionné pour les Prix Goncourt, Médicis et Femina 2015. Goncourable !

  • Titus n’aimait pas Bérénice, Nathalie Azoulai, P.O.L., 316 p., 17,90 euros.

Charlotte Poligone