Crédit photo : Kathleen Franck.
Crédit photo : Kathleen Franck.

Cinq garçons de café sont assis près d’une petite table ronde, après leur service. Bien décidés à boire ensemble un thé, leur tentative de débattre autour des notions telles que le sucre, la menthe, l’eau et plus tard le temps, nous semblent bien vaines. Ils nous livrent ici un exercice de style autour du langage. Et c’est réussi.

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Les acteurs font le pari de quitter leur fonction de personnage, comme on laisse son manteau au vestiaire. Lorsque Damiaan de Schrijver -l’un des acteurs et metteur en scène- parle sur le plateau, c’est en son nom qu’il parle. Du moins, c’est ce qu’il laisse entendre lors d’une interview qu’il nous a accordé. Cette pièce originale des compagnies TG Stan, de KOE, Dood Pard et Maatschappij Discordia a été créée en Belgique en 2007, puis récemment traduite pour permettre une tournée en France. Elle a tout récemment été produite du 19 octobre au 6 novembre au théâtre de la Bastille.

« L’élan spontané a disparu de l’environnement néolibéral que la société est (après tout) devenue à présent ». Cette grande devise qui surplombe la scène dès le début de la pièce nous interroge assez rapidement. Non, ce propos ne veut rien dire. En revanche, c’est bien autour de la spontanéité de la langue que l’on veut discuter. Damiaan de Schrijver explique que l’usage d’un slogan alambiqué permet de dénoncer la langue de bois dont les discours politiques usent. Il affirme que les banderoles trop courtes font populistes, alors que celles qui sont trop longues finissent par brouiller le message initial. Dans cette comédie, les acteurs amènent l’idée qu’il faut revenir au stade primaire de la parole afin de lui conférer de nouveau toute sa pureté. D’où l’utilisation dans la mise en scène de bruitages et de cris d’animaux.

Les acteurs se moquent de nous et on aime ça.

Cette volonté de libérer la parole alimente une réforme des codes préétablis dans le théâtre. Lorsque le spectateur entre dans la salle, les cinq compères sont déjà assis là, observant sagement pendant que tout le monde prend place. Il leur arrive même de se moquer de nous. En quelque sorte, on devient leur spectacle. La frontière entre l’espace scénique et le public s’amoindrit, allant même jusqu’à solliciter celui-ci au milieu de la pièce. Les acteurs jouent sur les réactions suscitées : ils aiment ça, et nous aussi.

La « polycoproduction » Onomatopées est en fait un véritable plaidoyer du théâtre moderne, émancipé des codifications scéniques, ainsi que léger et comique. Contrairement à ce que l’on pourrait penser lorsque l’on découvre le synopsis de cette pièce, c’est bel et bien du théâtre populaire. Il peut toucher n’importe lequel d’entre nous, du plus petit au plus âgé, grâce au comique de situation qui fait le nerf même de la pièce. Chercher à comprendre absolument la signification de ce que disent les protagonistes est insensé, puisqu’il n’y a rien à comprendre. Et c’est dans cette incompréhension que l’on rit spontanément, presque comme un enfant. Parfois même jusqu’à en pleurer.

  • Onomatopé, Théâtre de la Bastille, collaboration entre cinq comédiens des compagnies flamandes et néerlandaises tg STAN, de KOE, Dood Paard et Maatschappij Discordia, jusqu’au 6 novembre 2015