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Renaître à 55 ans n’est pas simple, surtout quand la vie ne vous fait pas de cadeau. Fable en quatre actes en forme d’ode à la différence, Willy 1er nous embarque dans un road movie social où ce n’est pas tant la distance parcourue qui compte (8 km à peine) mais le moyen de locomotion. Un scooter. Pour Willy, un bolide. Si le rêve d’une vie normale parait banal, le concrétiser relève du défi pour ce personnage calqué de façon quasi biographique sur son interprète Daniel Vannet. Co-signé de A à Z par quatre cinéastes portant le sceau de l’École de la Cité de Besson (Marielle Gautier, Hugo P. Thomas et les frères Ludovic et Zoran Boukherma), ce film dont la genèse est l’illettrisme réinvente le vocabulaire du cinéma français.

©UFO
19 octobre 2016

Après un carton explicatif et une entrée en matière dans le quotidien sans fard de Willy, le décor est posé. Passées les premières minutes durant lesquelles on serait tenté de se dire « ils y vont fort tout de même », on adhère à cet anti-héros bancal, pour ne plus le lâcher jusqu’à la scène finale. Un quinquagénaire éloigné des canons en vigueur et dont on se sent proche. Sa sincérité émeut autant qu’elle déclenche l’hilarité, grâce à un savant dosage de mots d’humour et de séquences efficaces. Être gauche en quête d’émancipation, malgré tout sensible et instinctif, Willy gravite dans ce monde à la manière d’un électron libre.

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Au-delà du quatuor de talents à qui on doit le film, celui-ci s’articule autour de quatre grands axes. Les piliers de la reconstruction de Willy, déclinés du mantra – véridique – qui le pousse à avancer : « À Caudebec, j’irai. Un appartement, j’en aurai un. Un scooter, j’en aurai un. Des copains, j’en aurai. Et j’vous emmerde ! ». Une phrase à laquelle Daniel Vannet s’est accroché durant sa mue, il y a sept ans de cela, restituée telle quelle dans la version cinématographique ; à ceci près que la destination initiale de ce Maubeugeois était située dans le Nord et non en Normandie. Au cœur de son parcours personnel il y a l’illettrisme. À 45 ans Daniel se rend compte qu’il est rémunéré à mi-temps pour un temps plein faute d’avoir su lire sa fiche de paie. Apparu dans un reportage télévisé, il bluffe ses futurs metteurs en scène, qui décident de le rencontrer. Deux courts métrages plus tard, l’illettrisme n’est qu’évoqué dans ce long, où seule la signature de papiers administratifs laisse supposer que Willy ne sait pas lire.

Être soi

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Avec ses défauts et ses qualités, Willy est dépeint dans son entièreté. La scène d’une belle justesse que Daniel Vannet partage avec Noémie Lvovsky – seule comédienne professionnelle au générique – en témoigne. Willy, c’est d’abord un corps. Souvent dénudé, presque cartoonesque, dissimulant la fragilité que son père utilise comme argument pour le chasser de la maison familiale. Délaissé par les siens, il pourrait sombrer dans l’isolement le plus total, mais prend la direction inverse. Toujours à contre-courant. Difficile de résumer l’ovni qu’est Willy 1er, oscillant entre docufiction, pamphlet social et objet d’art à l’onirisme saisissant. Film sur l’apprentissage de soi-même, il est surtout un réquisitoire contre le conditionnement au rejet. Le personnage que campe Romain Léger – casté sur Grindr – montre que le spectre des différences ne se limite pas à la marginalité du protagoniste.

Dans leurs uniformes similaires, les deux Willy se font écho. Un brin evil twins, Willy 1er et Willy 2nd fonctionnent en miroir. Le jumeau disparu, Michel, est également présent à sa manière. Il accompagne notre héros jusque dans l’autocollant tête de fauve, kitsch à souhait, qu’on apercevait sur sa voiture et qu’on retrouve sur l’avant du scooter. Le tigre rugissant de l’espoir ? Au gré de ses rencontres, Willy en apprend plus sur lui-même, et nous en apprend plus sur l’essence de la vie. En une réplique, désarmante de spontanéité, il nous cloue, nous bouleverse, nous fait rire. Ce laissé-pour-compte sourit peu et, si son regard mélancolique rappelle celui de Buster Keaton, c’est pour mieux cueillir le spectateur au détour d’une séquence chargée d’émotion. Le film en recèle.

Le parti-pris de la fiction

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De la première à la dernière minute, Willy 1er sonne juste. La direction d’acteurs soigneusement adaptée à chacun y participe à n’en pas douter, de même que le parti-pris esthétisant adopté. Du haut de leur premier long métrage, les quatre réalisateurs ont déjà tout des grands. Formellement et narrativement, ils dessinent les contours d’une parenthèse enchantée. Frappante maturité de ce chouchou des festivals, auréolé des bons auspices de l’ACID cannois et de ceux de Deauville. Bien que l’argument de départ trouve sa source dans la réalité, les quatre collaborateurs n’ont pas cédé aux sirènes du cinéma-vérité. Willy 1er se dote ainsi des atouts de la fiction. Voyage initiatique entre misère relationnelle et richesse humaniste, chapitré en étapes anti-manichéennes terriblement exaltantes.

Avec ses airs de Dagobert qui a mis son caleçon à l’envers, Willy contemple son royaume depuis un monte-charge, tremplin vers un avenir à conquérir. Parfois dans la douleur, mais sans perdre de vue son crédo. Va-t-il s’en sortir et goûter, enfin, à l’épanouissement personnel auquel il aspire tant ? Une question qu’on se pose tout au long de ce film touchant et original, à l’image de son protagoniste. Longue vie à Willy 1er !

  • Willy 1er de Marielle Gautier, Hugo P. Thomas, Ludovic et Zoran Boukherma, avec Daniel Vannet et Noémie Lvovsky, actuellement en salles (19 octobre 2016).