elisa_shua_dusapin

S’il y a bien une nouvelle génération d’écrivains, Élisa Shua-Dusapin a su se révéler parmi elle en nous offrant un premier roman tout à fait magnifique. L’un de nos chroniqueurs a souhaité revenir sur ce premier ouvrage qui n’augure que le meilleur pour cette jeune écrivain et nous annonce un bel hiver.

Août 2016
Août 2016

Le roman nous raconte l’histoire d’une jeune femme, employée dans une auberge qui accueille quelques touristes de passage. Elle est là, passe le temps dans la cuisine à préparer les repas pour les trois clients de l’auberge, à faire le ménage dans les chambres et à supporter un patron scrupuleux, Park. En dehors du travail, elle tient compagnie à sa mère qui est la seule à être autorisée à préparer le fugu, ce poisson qui est toxique si l’on ne possède pas une main de maître pour le cuisiner.

Le temps est long, il se dilate, enferme la petite ville de Sokcho dans une bulle. La jeune franco-coréenne est là, derrière le comptoir, observe ce couple dont la femme vient de subir une opération de chirurgie, sans doute, et elle s’intéresse à ce français, Yan Kerrand, normand, auteur de bande-dessinées en quête d’inspiration. Alors, de temps en temps, car il n’y a personne, que la ville est figée par cet hiver rude et suspendue entre la Terre et le Ciel, la jeune femme lui sert de guide et lui fait visiter Sokcho, la frontière entre la Corée du Sud et la Corée du Nord, un entre-deux en somme.

Tout est duel !

L’écriture d’Élisa Shua-Dusapin est belle, élégante, poétique, donne à sentir plus qu’à voir.

C’est un roman de l’entre-deux. Un entre-deux des sentiments amicaux qui flirtent avec l’idylle amoureuse, un entre-deux de l’identité pour la jeune femme, un entre-deux de la claustration et de l’envolée. Dois-je rester à Sokcho où l’on attend ou dois-je suivre mon petit-ami à Séoul où l’on vibre ? se demande la jeune femme.

Entre Yan Kerrand et la jeune franco-coréenne se forme une relation fondée sur l’attraction-répulsion. Lui est un peu bourru, plaisante lourdement et finalement se lie d’amitié avec celle qui lui fait sa chambre et lui fait visiter la ville. Quant à elle, elle est intriguée ; elle cherche sans doute à combler l’absence de son petit-ami parti à Séoul pour de plus grandes opportunités. Ils apprennent à se connaître à travers les quelques discussions qu’ils ont ensemble. Tout est dans le non-dit, dans l’allusion, dans les gestes et les attentions qu’ils s’échangent. Ils parlent en anglais alors que la jeune femme parle le français, comme si elle ne voulait pas empiéter sur l’identité qu’elle n’a jamais véritablement saisie. Chez cet auteur français, elle retrouve sans doute un père qu’elle n’a jamais connu et cherche à travers lui à cristalliser une part d’elle-même. La frontière est si ténue comme l’est la frontière entre les deux Corées.

Un souffle d’hiver

L’écriture d’Élisa Shua-Dusapin est belle. Elle est élégante, poétique, donne à sentir plus qu’à voir. La chaleur de l’auberge, l’odeur du poisson que la mère de la jeune femme prépare, le froid du littoral coréen et la tension, sensuelle, entre les deux protagonistes. On se croirait dans un film de Wong Kar-wai ou dans un roman de Mishima. Le roman est court, écrit à la première personne et peut-être manque-t-il un peu de chair à ces personnages dont on aimerait qu’ils ne soient pas si transparents derrière l’atmosphère que l’auteur crée. L’ambiance prévaut dans le roman plus que les personnages, ce qui confère, sans doute, un souffle à ces phrases légères, qui auréole le roman d’un silence qui en dit long. Pas besoin de longs dialogues, tout se dit dans ces impressions silencieuses, comme les ukiyo-e japonais.

À dire vrai, Élisa Shua-Dusapin signe un premier roman d’une grande beauté qui annonce un écrivain qui sait toucher son lecteur. Il était donc tout naturel qu’Élisa Shua-Dusapin soit honorée par le prix Robert Walser et le prix de la Révélation décerné par la Société des Gens de Lettres.

  • Élisa Shua-Dusapin, Hiver à Sokcho, Editions Zoé, 144 p., 2016.