Cannes est un laboratoire. Thierry Frémaux l’a rappelé lors de la conférence de presse de la 70e édition, qui se déroule jusqu’au 28 mai. À l’heure où les laboratoires spécialisés dans la pellicule peinent à se maintenir face à la suprématie du numérique, le rendez-vous cannois est l’occasion de se souvenir que l’histoire du cinéma est jalonnée d’avancées artistiques et techniques. Cette année, c’est sous le signe de la réalité virtuelle – VR – que le tournant s’opère.

Désormais septuagénaire, le Festival continue de truster le podium mondial. Sur la seconde marche de l’ancienneté (derrière la Mostra), et la première de l’impact médiatique, il attire les regards. À chaque édition et comme tout champion qui se respecte, le Festival remet son titre en jeu. Pour ne pas être détrôner et continuer de briller au firmament du septième art, la manifestation doit jouer les équilibristes entre essence et renouveau. Gardien de l’esprit cannois, Thierry Frémaux aime, comme son prédécesseur Gilles Jacob, bousculer les traditions pour insuffler de l’audace à la sélection.

Petites et grandes révolutions, à l’ombre des palmiers

Le Magicien d’Oz, emblématique des précurseurs Technicolor devait figurer au line up de l’édition avortée de 1939. Un signe que, dès ses prémices, Cannes était sensible à l’innovation. Chaque nouvelle ère apporte son lot de contestations et il en va de même avec la standardisation du numérique. L’édition de 2002 avait fait date en la matière (avec la version restaurée de Pépé le Moko à Cannes Classics). Au grand dam, on l’imagine, de Quentin Tarantino dont le gimmick « vive le cinéma » pourrait aussi bien être « vive l’argentique » tant on connait l’attachement du cinéaste au format noble. Dernièrement, c’est la 3D qui a vu les festivaliers revêtir de grosses lunettes. Introduit par le film d’animation Là-haut en 2009, le format relief a gagné en maturité en l’espace de dix ans, s’appliquant à des films plus adultes : Love de Gaspar Noé, ou Adieu au Langage de Godard.

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Quand la réalité dépasse la fiction

Ou est-ce l’inverse ? La réalité virtuelle brouille les pistes et concrétise le rêve de Mia Farrow dans La Rose pourpre du Caire : faire tomber le quatrième mur pour qu’on vive le film de l’intérieur. Non plus projeté sur un écran mais sur un gear (système de lunettes et casque audio), celui-ci ne voit plus, il se ressent. On ne dira bientôt plus « on se fait on toile » mais « gear-up ! » (on s’équipe !). Du moins c’est la promesse faite au spectateur. Auparavant observateur passif, il devient actif en décidant du cadrage par de simples mouvements de tête. Pourtant, se dédouaner ainsi de l’œil du réalisateur a ses limites et, bien que ce dernier reste maître à bord en concevant l’œuvre en amont, laisser les clés au spectateur n’est pas si évident. Sergent James en a récemment donné l’exemple. Sélectionné à Tribeca et présenté à Paris dans le cadre d’une projection Mk2, ce court métrage attire la curiosité mais ne remplit son pari qu’à moitié. Certes, être plongé dans un décor à 360° est une expérience en soit, toutefois il est frustrant de ne pas pouvoir quitter le cadre imposé. Dans la chambre d’enfant de ce huis-clos, on comprend que la VR est encore à ses balbutiements.

Objet cinématographique non-identifié

Les détracteurs de la VR lui font volontiers le reproche d’appartenir davantage à l’univers du jeu vidéo qu’à celui du septième art. Le vent de la désapprobation avait déjà soufflé sur le Cinématographe en son temps. On blâmait alors l’invention des frères Lumière car elle délocalisait un divertissement de foire vers des salles obscures semblables à des petites salles de théâtre. Aujourd’hui, on constate que sixième, septième et dixième arts se font écho. D’aucuns disent de la VR qu’elle isole. Certes, être dans une bulle sonore et visuelle est nécessaire à ce que l’immersion opère, mais le procédé ne coupe pas nécessairement son utilisateur des autres. En effet, il est possible de s’aventurer à plusieurs dans un même univers, à l’instar d’un atelier proposé à l’espace Mk2 VR de Paris, composé de deux rameurs, invitant les participants à une course imaginaire entre les astéroïdes. Avec la VR, tout est à inventer et certains l’ont bien compris. Le studio Warner Bros. a récemment déposé, en toute discrétion, un brevet de film en réalité mixte et il se murmure que le groupe de Marin

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Karmitz, en pointe sur ce secteur, profitera de Cannes pour avancer ses pions.

Dans ce contexte comment adopter la VR ? Sous l’égide du Festival de Cannes, Alejandro González Iñárritu apporte un début de réponse avec un film Hors-Compétition qui retiendra sans nul doute l’attention de la presse, Carne y Arena. Pionnier de 7 minutes, il pourrait bien modifier les codes du septième art qui, vieux de plus de 120 ans, continue de se réinventer.

Pour rappel, le 70e Festival de Cannes se tient du 17 au 28 mai 2017.