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« Ce qui est extraordinaire, c’est la puissance du hasard » ; Richard Morgiève sera l’invité du festival Livres en Tête le 25 novembre ! Avec Les Hommes, publié à la rentrée aux éditions Joëlle Losfeld, il signe une œuvre autobiographique peuplée de voitures volées, de cigarettes et de prostituées. Il raconte les hommes et les femmes des années 1970 et se jette à la « poursuite du temps révolu » pour retracer la genèse d’un père et d’un écrivain.

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Pourriez-vous évoquer votre livre en trois mots ?
Je l’évoque en deux : les hommes.

Quelle est la différence entre vous et le narrateur ?
Mietek Breslauer est vraiment un alias. Je me suis aperçu que j’étais la seule personne à pouvoir écrire cette histoire. La plupart du temps, n’importe qui peut écrire n’importe quelle histoire, il n’y a que le talent qui fasse la différence. Même si je n’ai pas de talent, j’étais le seul à pouvoir écrire cette histoire. Il fallait que je l’écrive car elle m’est arrivée, j’ai connu tous ces gens, je connais cette langue, ce pays.

J’avais besoin de conjurer le sort. J’ai souvent peur et j’ai choisi un patronyme juif qui est donné à un de mes héros dans un de mes livres porte-bonheur, Fausto. J’ai décliné le prénom Mietek, en « Mieta » dans mon livre Un petit homme de dos. Mietek Breslauer, je me suis dit que c’était un nom qui me porterait chance pour parler de moi, j’ai donc utilisé un nom porte-bonheur.

Est-ce que cela vous a porté chance ?
Je pense oui, car j’ai fini d’écrire le livre !

Mietek Breslauer est-il un héros, un super-héros, ou un anti-héros ?
C’est un homme qui vit sa vie comme vous vivez votre vie de femme. Il fait ce qu’il peut. Il est pris par son destin.

Voulez-vous dire qu’il est passif ?
Nous sommes tous passifs. Je suis très passif, la vie s’est chargée de me bouger. Avant j’étais prolo, maintenant je suis bourgeois…

Il fallait que je l’écrive [cette histoire] car elle m’est arrivée, j’ai connu tous ces gens, je connais cette langue, ce pays

Vous ne pensez pas qu’on puisse agir sur son destin ?
Je ne pense pas, je crois que nous sommes manœuvrés par notre destin, par nos pulsions, par notre idiosyncrasie, que peut-on y faire..? Ce n’est pas pessimiste ce que je dis, pas du tout. Je pense juste que notre liberté ou capacité de manœuvre est extrêmement faible et réduite. Si demain il y a un coup d’état avec n’importe quel extrémiste de n’importe quel bord qui souhaite couper la tête de tous les vieux cons de 67 ans aux oreilles décollées, je passerai à la trappe. Je n’y pourrai rien. Vous verrez, ce qui est extraordinaire, c’est la puissance du hasard. On se rencontre mais on ne sait pas ce qu’il peut se passer, en réalité nous n’y sommes pas pour grand-chose.

Justement, dans votre ouvrage, le narrateur divise sa vie en chapitres. Quel nom donneriez-vous au moment que nous partageons ?
La rencontre. C’est bête mais il ne faut jamais chercher des mots compliqués. Les mots sont là, il faut les utiliser.

Préférez-vous les années 1970 ou 2010 ?
Je ne peux pas dire que je préfère telle ou telle époque. Le roman, c’est la poursuite du temps révolu comme l’a si bien dit Monsieur Proust. Les années 1970, c’est une époque que j’ai choisie car elle correspond à la réalité de ce que je voulais écrire, à ce qu’il s’était passé. Et surtout, c’est une réalité très intéressante, c’est la fin des trente glorieuses, le début de la merde, on va dire… C’était juste le début. Il y a une différence notable entre les années 1970 et les années 1980. A partir des années 1980, les mecs ont les cheveux courts, cherchent à faire du fric, ils ont des rolex… un changement total de point de vue s’opère.

Vous êtes-vous inspiré de Proust ?
Je n’ai pas cette prétention (rires). Je trouve simplement que c’est un génie, y compris dans la simple évocation du titre de son œuvre. Il n’y a pas un écrivain qui ne puisse pas être proustien, ce n’est pas possible. Même si le livre nous ennuie à mort, ou nous sort par les yeux, il a dit ce que c’était d’écrire. Il l’a fait. Je me ferais des ennemis affreux si je disais que je me suis inspiré de Proust. Ça suffit, j’ai déjà trop de soucis dans ma vie.

Le roman, c’est la poursuite du temps révolu comme l’a si bien dit Monsieur Proust

Tous les personnages de votre ouvrage semblent faire preuve de pudeur, est-ce lié à l’époque du récit ? A votre manière d’appréhender les événements ?
C’est lié à moi. Même lorsqu’on décrit le pire, pour moi cela nécessite une certaine pudeur. Même si c’est extravagant ou obscène, il y a forcément une sorte de pudeur. D’abord dans le choix des mots, dans la façon dont les écrivains posent les questions. L’écrivain se sert de la forme dialoguée par exemple. Je fais justement très attention, dans le dialogue, à faire en sorte que le lecteur ne se sente jamais plus intelligent que mes héros.

Est-ce pour conserver un certain mystère ?
C’est une forme d’éthique. Dans les années 1960, tous ces cons d’écrivains dits intelligents n’ont pas arrêté de faire des appels aux lecteurs en disant : « tu es intelligent, tu sens bon des bras, tu as de beaux yeux », je ne fais pas ça dans mes livres. Je me fiche que l’écrivain soit intelligent. Céline pouvait être un idiot, ce n’est pas la question, il a changé ma vie.

Avez-vous une insulte préférée ?
Super question (rires), « tête de veau » j’aime bien. J’évite d’insulter. On n’a qu’une gueule, il faut se méfier de l’insulte, c’est une vieille et très bonne leçon.

Si vous aviez une addiction, quelle serait-elle ?
J’en ai pas mal… (rires) La cigarette, j’ai réussi à la chasser de ma vie. Je suis un alcoolique mondain comme tous les écrivains. Il n’y a pas d’écrivain qui ne soit pas alcoolique. Si vous voulez, un peintre, par exemple, le soir a les mains sales. Le mec qui écrit un livre sur un serial killer, qui éventre des gens, les viole, les tue, il a toujours les mains propres. Le livre est un objet qui n’existe pas, il a une sorte de tangibilité.

Quelle émotion a été le moteur de votre livre ?
C’est l’émotion justement (rires). L’émotion, c’est redonner la parole à ces gens, les faire parler, les faire vivre. Montrer qu’il n’y a pas que les bourgeois qui font des études. Il y a une autre population qui a le droit de vivre et qui vit et fait des choses chouettes. C’était aussi une façon de parler de ma vie intime. Redonner une sorte de parole. Je ne suis pas dieu, je ne peux pas donner la parole aux gens, c’est un prétexte. L’émotion c’est ça, la pudeur et l’émotion. Sans pudeur, l’émotion craint.

Certaines scènes ressemblent à des séquences de films, vous êtes-vous inspiré du cinéma ?
Non, je n’ai absolument pas pensé au cinéma en écrivant ce livre. C’est curieux car j’ai écrit beaucoup de livres en pensant au cinéma. J’ai beaucoup travaillé pour le cinéma, j’ai beaucoup appris mais là je n’ai jamais pensé au cinéma. Cependant, j’ai pensé à des livres que je cite, par exemple Classe tous risques, Touchez pas au grisbi, mais c’est tout… Pourtant ce que j’ai appris au cinéma me sert toujours. C’est par exemple apprendre à couper. Il faut être mesuré. J’avais tendance à cutter trop, trop sèchement et de façon trop cinématographique. Maintenant, lorsque que je cut, je m’efforce d’écrire derrière le cut, de façon à souffler.

L’émotion, c’est redonner la parole à ces gens, les faire parler, les faire vivre

Que représente la voiture dans votre livre ?
C’est impossible de parler des années 1970 sans parler des voitures. C’est impossible de parler des hommes sans les voitures, il n’y a pas d’hommes sans voitures. C’est un totem. Les voitures et les camions, par exemple, je les ai beaucoup côtoyés dans ma vie. Quelqu’un qui a faim, et c’était mon cas, avait juste à ouvrir une voiture et enlever les banquettes pour trouver à bouffer : vous êtes au volant, il y a du fric qui tombe… il ne fallait pas le faire dans une voiture neuve, car il y avait moins de possibilité de trouver de l’argent.

Aujourd’hui, que voleriez-vous ?
Je ne sais pas… Des skates, des vélos électriques ! (rires)

Est-ce que vous insultez les gens dans votre voiture ?
Jamais. Pas d’insultes. Vous pouvez vraiment énerver quelqu’un avec une insulte. Il n’y a aucune raison qu’on vous injurie. Je suis très grossier avec mes proches mais c’est tout. Je fais bien attention de ne pas l’être avec quelqu’un que je ne connais pas.

Vous écrivez que les hommes sont une espèce en voie de disparition, qu’est-ce qui va les remplacer ?
On a un changement net de société, on est en train de passer d’une société patriarcale à une société matriarcale. On ne sait pas trop ce que ça va donner. La société patriarcale on l’a connue, la société matriarcale est en train de naître… Que vont devenir les hommes ? Il y aura toujours des hommes, ils ne vont pas disparaître. C’est une mutation générale. Les hommes vont rester, simplement les hommes dont je parle n’existent plus.

Votre livre est-il une ode aux hommes ou plutôt aux femmes ?
S’il n’y avait pas de femmes ce serait horrible, ce serait laid. Et puis, il n’y aurait pas d’hommes, s’il n’y avait pas de femmes. Il me semble que pour l’heure, c’est encore la femme qui enfante.

Si vous deviez évoquer les femmes de votre ouvrage en trois adjectifs..?
Vitales, maternelles, cruelles.

Et les hommes..?
Bêtes, de parole, romantiques.

Votre livre est donc une ode aux femmes finalement ?
J’ai besoin des femmes, c’est trop beau les femmes. Je ne dis pas qu’un homme n’est pas beau, mais je trouve les femmes très belles et indispensables.

C’est impossible de parler des années 1970 sans parler des voitures

Quelle est la véritable quête du narrateur dans Les hommes ?
Le narrateur… Il lui arrive quelque chose de rare, c’est d’être choisi par un enfant. Ce qui me choque, ce sont les gens qui disent qu’avoir un enfant est un droit. C’est du consumérisme. C’est très grave d’en arriver là. Si ce n’est pas un droit, ça peut devenir vite un devoir en revanche. Je voulais raconter ce que c’est d’être choisi par un enfant. Les enfants sont au-dessus de tout. C’est sacré.

Ce gars qui est un peu à la limite de la limite et qui est choisi par un enfant devient donc de fait père. Il se rend compte alors qu’il peut devenir écrivain. Pour moi, être écrivain est un métier de femme. Je me considère comme une femme.

Avez-vous un mot préféré ?
Orphelin.

Un mot que vous n’aimez pas ?
Mansuétude et citoyen.

Un bruit que vous aimez ?
Oui, l’eau qui coule.

Le livre qui vous a donné envie de lire ?
Mon amie Flicka de Marie O’Hara. C’est une histoire pour enfant, je trouve que c’est un chef-d’œuvre absolu.

Redoutez-vous de perdre l’usage de la parole ou de l’ouïe ?
J’ai un peu tendance à penser l’ouïe car ma parole n’a pas beaucoup de valeur. Je ne sais pas, je préfère ne rien perdre.

Est-ce que vous écoutez de la musique quand vous écrivez ?
Ça m’arrive oui, en bruit de fond, je prends une radio. Parfois, j’écoute des musiques en boucle, ça m’arrive d’écouter Maria Callas, de la musique Tzigane, Charles Trenet ou Brassens.

Vous écrivez beaucoup de phrases courtes qui vont à l’essentiel. Quelle est l’importance du rythme dans votre ouvrage ?
C’est colossal, sur chaque livre je travaille l’écriture. La langue doit s’adapter à la manière d’être du héros.

Le narrateur… Il lui arrive quelque chose de rare, c’est d’être choisi par un enfant

A quel lecteur vous adressez-vous ?
Je sais que j’écris pour une personne que je ne connais pas. Mais je fais bien attention de bien parler à cette personne, d’être en correspondance avec elle. Que ce soit incarné et qu’il y ait un rapport physique entre elle ou lui et moi.

Est-ce quelqu’un que vous avez inventé ?
Oui bien sûr, il n’existe pas. En revanche, lorsque j’écris mon roman, je le fais lire à plusieurs personnes. Beaucoup plus souvent à des femmes. Je n’ai pas confiance en les hommes pour les questions de littérature.

Lorsque vous écrivez, entendez-vous les voix de vos personnages ?
Oui bien sûr, tous ceux du livres. C’est une sacrée aventure.

Et Karine, qui offre au héros une cassette sur laquelle elle s’est enregistrée lisant un livre…
D’abord, Karine est une idée qui me plaisait beaucoup. Des personnes qui s’enregistrent des livres comme une preuve sensuelle, comme un échange aussi, c’est beau. Des gens, pas des intellos, une prostituée, un braqueur. Ce n’est pas réservé aux gens qui sont au Flore.

Associez-vous lecture à haute voix et sensualité ?
Oui.

Propos recueillis par Solène Reynier, Fanny Boutinet et Marie-Sophie Simon pour Les Livreurs.