Mémoire vivante du Festival de Cannes, Jean-Luc Godard est l’habitué qui ne passe jamais inaperçu. Tandis qu’on célèbre le cinquantenaire de mai 68, et la clôture anticipée signée « JLG », son dernier film anime les conversations. Difficile de croiser un confrère sans s’entendre demander : « Tu as aimé le Godard ? ». La variante : « Tu as dormi ? », existe aussi mais nous tairons les noms des journalistes dont les paupières se sont fermées au gré de la succession de plans qui composent ce Livre d’image. Un titre au singulier, pour donner le ton : ici tous les codes sont détournés.

Déroutant et fascinant

Jean Cocteau décrivait le Festival de Cannes comme « une comète posée pour quelques jours sur La Croisette ». Pour Jean-Luc Godard, il s’agit surtout d’un terrain de jeu où donner libre cours à ses expérimentations graphiques et visuelles dont Adieu au langage était le croquis. Depuis quelques années, le réalisateur de 88 ans repousse d’un cran ses essais cinématographiques. Tandis que la 3D faisait la particularité de cette précédente sélection – Prix du Jury ex-aequo avec Mommy de Xavier Dolan – Le Livre d’image prend la forme d’un long métrage patchwork, agrégé d’extraits de films et de reportages télévisuels dans un montage hypnotique.

Irrévérence formelle

Peu accessible, LeLivre d’image n’est pas destiné à être vu par le plus grand nombre et ça n’a jamais été le propos du père de la Nouvelle vague. Comme de coutume, le cinéaste aux Wayfarer va à contre-courant de ses pairs et, surtout, de ce que le public pourrait attendre. Déjà dans les sixties, un film de Godard était une surprise perpétuelle.

Au-delà de la curiosité qu’il génère, c’est l’irrévérence stylistique qui s’impose comme le plus bel atout du Livre d’image. Dictés par une voix-off monocorde caractéristique des films qui ont forgé le mythe Godard, ses plans « bouts-de-ficelle » tissent un montage visuel et sonore discordant.

L’artiste Godard

Les effets de redondance sont autant de ruptures qui jalonnent la continuité du récit, si tant est qu’on puisse parler d’une narration. « La condition humaine est de penser avec ses mains », dit le guide pour introduire une réflexion sur la révolution sociale et les peuples opprimés. Des leitmotive du cinéma godardien, qui prennent d’autant plus d’ampleur avec le travail de surimpression et de surexposition des images. Ne boudant pas les temps de silence et prenant un malin plaisir à ne pas coordonner le son sur ce que voit le spectateur, Jean-Luc Godard se pose en éveilleur de conscience. Les notions de confort et de divertissement du cinéma traditionnel sont balayées dans cette œuvre protéiforme qui trouve une jolie place dans la compétition cannoise, à ceci près que cet outsider se coupe des prix d’interprétation car il ne possède aucun casting.

D’aucuns diront de ce film qu’il est un objet filmique non-identifié uniquement compris de son auteur. Et si Le Livre d’image était finalement une leçon de cinéma destinée à nous rappeler qu’en matière de cinéma la seule règle est qu’il n’y en a pas ?

Le Livre d’image, de Jean-Luc Godard. Sortie inconnue.

En Compétition.