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ALERTE : « Objet Littéraire Non Identifié. » Ainsi s’ouvre le premier roman de Marie Beltrami comme un avertissement adressé à l’auteur qui va pénétrer dès le premier chapitre dans des outre-mondes. Il est ardu de définir le genre de SonCoeurEnRoseTiepoloSwing. À l’image de son auteur, le livre est polyvalent, il est à la fois conte de fée, poème surréaliste, essai sur l’enfance, le souvenir et le pouvoir du rêve…

© Marie Beltrami
© Marie Beltrami

En ouvrant les premières pages, je fus happé. À l’instar d’Alice dans le roman de Lewis Carrol, j’allais traverser le miroir et plonger dans un univers tout à fait fascinant. SonCoeurEnRoseTiepoloSwing raconte l’histoire de la jeune Inga Binga, « dix-huit ans et une taille de guêpe… », orpheline, qui vit avec un robot extrêmement policé du nom de Louis et son cheval Gisèle. Tous les trois vont être entraînés dans une sorte de quête surréaliste et surnaturelle dans laquelle ils devront affronter la Maîtresse des Souvenirs qui a le pouvoir de dérober les souvenirs et les sentiments des êtres-humains. Inga Binga devient alors une espionne et se voit confronter à des phénomènes étranges, des visions inquiétantes et des personnages étonnants. Lors de sa mission, elle se lie d’amitié avec la Lune qui, toutes les nuits, descend sur Terre pour rejoindre son amie et se transformer en femme dont le langage est l’argot des faubourgs parisiens des années 40. Cet ange gardien lunaire l’accompagne et l’aide dans sa mission secrète. Inga Binga découvre aussi l’amour, les fantasmes et les plaisirs… d’où, sans doute, le titre ! Le cœur d’Inga Binga est rose Tiepolo, pourrions-nous comprendre un mélange de romantisme avec un soupçon de rococo ? Mais surtout, le cœur d’Inga Binga, swing ; il balance, conduit son corps à s’affirmer dans l’espace. Bref, le cœur d’Inga Binga (et celui de Marie Beltrami) est liberté !

Une expérience poétique surréaliste

Un roman ? SonCoeurEnRoseTiepoloSwing me fit penser à un véritable roman initiatique. La jeune femme, au fil de l’histoire, se découvre, compose avec ses rencontres et ses sentiments. Sa naïveté et son innocence métamorphosent le monde. La force du personnage de Marie Beltrami est son imagination, « reine des facultés » disait Baudelaire, qui la projette dans des ailleurs hors de la réalité. Ainsi, le lecteur plonge dans un rêve. Il y découvre la Lune, des lieux somptueux démesurés, des inventions technologiques de pointe, un empereur de Chine dont le savoir pourrait faire basculer l’ordre du monde et une Maîtresse des Souvenirs redoutable. Peut-être retrouvons-nous Marie Beltrami dans ce personnage qui pourrait hurler à tout instant « Anywhere out of the world ! » ? car Marie Beltrami, theglorious chaotic girl comme elle aime s’appeler, crée un monde qui n’appartient qu’à elle, un monde poétique où les références symbolistes et surréalistes s’entrelacent à sa fascination pour l’espace et les nouvelles technologies, un monde surréel où l’imagination prévaut sur tout et qui embrasse tous les temps. Aussi, est-il conte !

© Raul Higuera
© Raul Higuera

Chaque chapitre est un nouveau palier, un nouvel univers dans lequel non seulement Inga Binga pénètre mais aussi le lecteur qui se voit plonger véritablement dans l’univers incroyable de Marie Beltrami. À quelques égards, le livre m’a renvoyé à ma lecture du Magicien d’Oz de Lyman Frank Baum et au personnage de Dorothée accompagnée de son chien Toto qui doit affronter la terrible sorcière de l’Ouest. SonCoeurEnRoseTiepoloSwing ouvre son monde à lui : un univers coloré, hors du temps et de l’espace. Seule la Chine apparaît comme toponyme mais dans une vision mythique du pays qui l’arrache au désagréable et à l’ennuyeux réel. Le conte, ici, est une poche de résistance esthétique contre l’empire réaliste et le royaume de la sociologie. Le lecteur a besoin de s’envoler dans sa lecture. Marie Beltrami nous fournit des ailes en or et un esprit d’airain afin que nous puissions tisser un lien avec les associations d’idées des personnages et du narrateur ; dès le début du livre, tout se met en place et le lecteur cède immédiatement à l’illusion romanesque.

 Le conte, ici, est une poche de résistance esthétique contre l’empire réaliste et le royaume de la sociologie.

Comme le livre de Lyman Frank Baum, Marie Beltrami a ajouté quelques-unes de ses illustrations. Celles-ci ponctuent le roman comme des souffles poétiques. Il suffit d’un trait, d’une courbe pour que l’on y voie le visage d’une femme, d’une danseuse… C’est à la fois la joie de dessiner de Matisse, le trait onirique de Cocteau et les femmes de Nikki de Saint-Phalle qui s’étreignent dans les illustrations de Marie Beltrami. Outre les illustrations, le roman est extrêmement visuel. Marie Beltrami a un don pour raconter les rêves (ses rêves ?) et, ainsi, chaque chapitre est comme un tableau vivant grâce à un travail fin de l’hypotypose et de la description. On aimerait presque voir une version animée de SonCoeurEnRoseTiepoloSwing…

La force du roman-conte-poème de Marie Beltrami est sa capacité à nous saisir immédiatement dans l’univers raconté. En quelque sorte, l’auteur nous invite à repenser au « vert paradis » de l’enfance, comme Inga Binga qui se retrouve face à son moi enfant perdu dans le monde des souvenirs. Grâce à ce conte de fée, nous sommes renvoyés à nos lectures de jeunesse comme Le Petit Prince de Saint-Exupéry ou aux œuvres de Walt Disney. Dans un temps de crise et de morosité, un livre comme celui-ci est un éclat salutaire dans le paysage littéraire et artistique. Il est, par ailleurs, intéressant de constater que le livre est passementé de citations d’écrivains qui surgissent dans les paroles d’Inga Binga. Ce n’est pas là l’expression d’un pédantisme mais plutôt celui d’un hommage à la littérature comme soutien moral au lecteur. Inga Binga s’approprie les textes de Racine, de Baudelaire, de John Donne ou encore de Romain Gary pour traduire sa pensée et ses sentiments. Comme des figures analogiques, ces auteurs permettent au personnage d’entrer dans le monde.

SonCoeurEnRoseTiepoloSwing est un livre qui fait rêver tout simplement, qui a, pour seule prétention, le désir d’emporter son lecteur dans l’imaginaire de son auteur et qui brille comme « l’astre qui décline ».

  • Marie BeltramiSonCoeurEnRoseTiepoloSwing, Mot-Dit. Sortie le 14 février 2019 chez Artcurial.