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Pour son premier long-métrage, Matthieu Haag nous livre un documentaire retraçant la vie et l’engagement exceptionnel de Monsieur Vu Tiên, directeur d’un orphelinat à Hanoï. À travers le portrait de cet homme, on y découvre un hommage à ceux qui dédient leur vie aux autres. 

Je m’en souviens comme si c’était hier. J’arrive à cette terrasse de café près du lycée Guist’Hau à Nantes. Un homme m’attend, assis à une table, un café déjà posé près de lui. Cet homme, c’est Matthieu Haag, le réalisateur du film documentaire L’Orphelinat, mais ça je ne le sais pas encore. Il a entendu dire que j’étais d’origine vietnamienne, que j’avais été adopté en 1994 dans un orphelinat sur le delta du Mekong au sud du Viêt-Nam, le pays aux mille printemps. Il voudrait en savoir plus sur mon histoire, sur mes origines, sur mes mémoires blanches et la fiction qui s’auréole autour. Je lui raconte tout. Il prend des notes et m’avoue à son tour la raison de sa curiosité. Lui a été à Hanoi pour tourner un film institutionnel qui devait vanter les mérites de la francophonie. Un projet peu exaltant selon lui. Cependant, cela lui permet de visiter le pays, d’errer, de se perdre et ainsi de pousser la porte de la maison de Monsieur Vu Tiên qui pendant quarante ans a accueilli chez lui six cents enfants dans le besoin. Ainsi naît le film L’Orphelinat.

L’hommage à un grand-père spirituel.

Matthieu Haag ouvre son film sur sa grand-mère. Des images d’archive à partir desquelles l’on voit se tisser le canevas de la filiation. À partir des mots de sa grand-mère qui espérait que son petit-fils eût un jour une famille, le spectateur est projeté au Viêt-Nam, dans les rues bruyantes de la capitale vietnamienne, Hanoi, recouverte d’un voile grisâtre et pesant. Les klaxons des motos et des scooters, le bruit des habitants qui se regroupent sur les trottoirs, lieux de vie plus que des lieux de passage. Puis, l’on passe les portes de la maison de Monsieur Vu Tiên, ce petit homme de l’ombre auquel Matthieu Haag rend hommage.

Monsieur Vu Tiên a tout donné pour les plus pauvres. Son orphelinat est une porte ouverte pour les enfants dans le besoin et dont les parents n’ont pas les moyens de les éduquer. Aussi, Monsieur Vu Tiên fournit-il soins, éducations, ouverture sur le monde, conseils pour la vie. Son orphelinat est un tremplin pour ces jeunes qui sont, comme le disait mon maître disparu, Tin Cuong Phan, « des poussières de la vie. » Monsieur Vu Tiên raconte sa vie tragique, la guerre d’Indochine, la guerre du Viêt-Nam, sa répudiation par sa famille, l’errance, le sentiment profond de déréliction et le besoin impérieux de redonner à son tour lorsqu’il put vivre décemment. L’orphelinat fonctionne sur les deniers personnels de Monsieur Vu Tiên qui permet alors aux enfants de manger correctement, d’avoir accès aux études, permettant ainsi à ces enfants d’avoir une ouverture sur l’avenir. Plus que cela, Monsieur Vu Tiên s’attache à ce que les enfants exercent leur passion et leur sensibilité à travers la musique, le chant, la danse. Ce qui frappe le spectateur est la grande humilité avec laquelle Monsieur Vu Tiên se confie. Il ne s’enorgueillit pas, il fait acte envers l’humanité en toute simplicité, fortement épaulé par sa femme à laquelle il rend hommage en lui accordant tous les mérites. En ce sens, l’orphelinat est un peu comme une dette de vie.

Le spectateur suit ainsi le quotidien de l’orphelinat à travers les yeux du réalisateur Matthieu Haag qui nous raconte son expérience mais aussi celui d’un petit garçon, Kien qui réside à l’orphelinat depuis trois ans. En ce jeune garçon se déploie un rêve, celui d’un père potentiel, celui du réalisateur qui se prend d’attachement pour Kien qui se livre à son tour et qui avoue alors avoir toujours sa mère qui, ne pouvant subvenir à ses besoins, le laisse chez Monsieur Vu Tiên l’année scolaire pour le récupérer pendant les vacances. L’entretien avec le petit Kien n’est pas de l’ordre de la confession ou pis encore du voyeurisme. Il est simplement l’expression d’une confiance mutuelle qui s’est installée – peut-être d’une complicité – ainsi que la résilience d’un petit garçon qui accepte sa situation. Dans le silence des phrases et de la barrière du langage se dessine son histoire, elle aussi tragique, son identité et surtout sa mémoire.

Plus qu’un film documentaire, Matthieu Haag signe un conte à la fin ouverte qui ne peut être que lumière.

L’hommage n’est pas qu’une succession de confessions et n’est pas une série de clichés sur le Viêt-Nam avec de beaux paysages et de beaux monuments. Matthieu Haag a le talent de l’humilité et de l’écoute, il a le talent du regard c’est-à-dire celui qui prend le temps quitte à laisser place au silence, sans doute celui de la méditation, poche de résistance contre les nuisances urbaines ; un peu comme le Lac Hoan Kiem à Hanoi qui apparaît comme un havre de paix au milieu de la jungle urbaine dévoratrice. Matthieu Haag a, enfin, le talent de la sincérité. Le spectateur ressent absolument que l’histoire de Monsieur Vu Tiên et de l’orphelinat, Matthieu Haag l’a vécue d’une manière tout à fait sensible au point de se considérer comme un membre de cette grande famille. La vie à l’orphelinat est ainsi : une routine, une attente, les amis, l’éducation. Ainsi, il est très touchant de regarder le documentaire dans lequel on s’investit pleinement en ayant tout de même conscience de l’immense distance qui nous sépare de cette vie. Plus qu’un film documentaire, Matthieu Haag signe un conte à la fin ouverte qui ne peut être que lumière.

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Monsieur Vu Tiên incarne le grand-père – et l’ombre de la grand-mère du réalisateur –, le petit Kien, ce fils espéré et Matthieu Haag – en voix-off – ce père en devenir. Le film témoigne d’une véritable sensibilité et  d’un hommage appuyé d’un couple qui a dédié sa vie pour les plus démunis, d’une mère courageuse contrainte de laisser son fils et enfin d’une grand-mère inspiratrice. Matthieu Haag s’engage pleinement dans cette quête de l’identité et de la mémoire. La force de l’artiste-réalisateur est celle de l’imagination et du rêve qui permettent de penser mille histoires toutes aussi vraies les une que les autres. Dans ce champ des possibles, dans cette exercice de la pensée, Matthieu Haag a posé la première pierre et pourrait peut-être penser d’autres histoires. Parmi celles-ci, sans doute y en aura-t-il une qui sera l’énergie d’une naissance.

  • L’Orphelinat de Matthieu Haag, présenté par Les Films de la Main Heureuse : au cinéma Le Luminor (IVe) le 31 mars à 11 heures.