Tim Burton, Vincent, 1982

L’univers gothique de Tim Burton a atteint son apogée à la fin du XXe siècle. Depuis quelques années, le réalisateur américain semble avoir perdu la fantaisie morbide qui animait ses films depuis Vincent, son premier court-métrage.   

Burbank, banlieue résidentielle de Los Angeles, Californie. Années soixante-dix. Des maisons aux couleurs pâles, des voitures roulant au pas, des vies rangées. Une atmosphère bien trop normale pour le jeune Tim Burton.

L’adolescent solitaire et introverti se révolte à sa manière en regardant des films d’horreur ou de série B : « Je crois que je regardais ces films en réaction à un milieu familial puritain, bureaucratique, très marqué par les années cinquante »[1]. Voguant entre le docteur Frankenstein et les adaptations des nouvelles d’Edgar Poe, l’imaginaire du futur cinéaste en sera imprégné à jamais.

Se destinant à une vocation d’animateur, Tim Burton obtient à 18 ans une bourse d’études dans une université de graphisme créée par Walt Disney.

Trois ans plus tard il est embauché par le studio. Mais dessiner les petites fleurs et les gentils renards de Rox et Rouky va rapidement devenir un supplice pour Burton et son imaginaire peuplé de créatures bizarres. Malgré tout chanceux dans son malheur, deux cadres haut-placés chez Disney repèrent son talent. En 1982, ils lui proposent 60 000 dollars pour produire un projet personnel. Tim Burton n’hésite pas une seconde. Il utilise Vincent, l’un de ses poèmes, pour modeler image par image son premier héros burtonien : Vincent Molloy.

En moins de 6 minutes, le réalisateur se révèle grâce à son double animé, un enfant de sept ans « poli et attentionné » mais qui souhaite plus que tout ressembler à l’acteur Vincent Price.

Ce dernier représente une figure mythique pour Burton, l’un des héros qu’il fréquentait dans les cinémas de  Burbank. Vincent Price accepte avec enthousiasme de narrer le récit du ténébreux court-métrage. La rencontre avec son idole représentera pour Tim Burton l’une des « expériences les plus formatrices de [sa] vie »[2].

L’étrange Vincent Molloy fait gagner deux prix à son réalisateur, aux festivals de Chicago et d’Annecy. Surtout, il définit l’ADN des films de Burton en dévoilant un univers gothique digne d’Edgar Allan Poe et qui sera sa marque de fabrique dans les années à venir. Tourments, désespoir, cauchemars, monstres… A cette ambiance mortifère s’ajoute une technique d’animation ultra-maîtrisée, des personnages originaux et une histoire émouvante. La génétique burtonienne va se dérouler jusqu’au crépuscule du deuxième millénaire.

Mais aujourd’hui, les héritiers de Vincent Molloy croupissent-ils définitivement au cimetière ? La  fantaisie morbide du réalisateur d’Edward aux mains d’argent, de L’étrange noël de mr Jack ou encore de Mars Attacks semble s’être épuisée, perdue dans les méandres de la banalité hollywoodienne et des versions recyclées.

Tim Burton, L’étrange noël de Mr Jack, 1994

Le Sweeney Todd de Burton n’était qu’une pâle copie de la comédie musicale écrite en 1979 par Stephen Sondheim, comédie elle-même inspirée d’une légende urbaine évoquant un barbier londonien sanguinaire. Deux ans plus tard, Alice au pays des merveilles aurait pu sonner la fin immédiate de la 3D au cinéma tant Burton avait gâché le conte onirique de Lewis Carroll en l’enrobant d’effets spéciaux aussi laids qu’inutiles. Une légère dose d’humour burtonien saupoudrait Dark Shadows, reprise d’une série télévisée américaine de la fin des années soixante, mais tout en restant bien loin des anciens chefs-d’œuvre du réalisateur américain.

Avec son nouveau film, Frankenweenie, Tim Burton réutilise encore de l’ancien pour faire du neuf. Le réalisateur aujourd’hui quinquagénaire, avait tourné un court-métrage homonyme de 30 minutes en 1984, dans lequel le jeune Victor Frankenstein redonnait vie à son chien défunt. Disney, son producteur, l’avait d’ailleurs jugé trop macabre et l’avait censuré. Vingt-huit ans après, les choses ont bien changé puisque c’est la puissante multinationale qui produit Frankenweenie n°2 ! Le fond est identique mais la forme a évolué puisqu’à la différence de Frankenweenie n°1, Tim Burton a choisi l’animation pour faire vivre son histoire. Le procédé technique s’adapte en effet parfaitement à la 3D, un atout commercial dont Disney ne semble plus pouvoir se passer…

Alors, à chacun de s’immerger dans une salle obscure pour décider si, oui ou non, les petits frères de Vincent Molloy sont ressortis de leurs tombes…

Tim Burton, Vincent, 1974

[1]    Tim Burton pas Tim Burton, Mark Salisbury, Editions Le Cinéphage, 2000, p. 16

[2]    Ibid, p. 34

Lola Cloutour