Emmanuel Pireyre

Retrouvez désormais chaque mois sur Zone Critique, la «carte blanche» du romancierClément Bénech. Une chronique consacrée ce mois-ci au dernier roman lauréat du Prix Médicis, Féerie générale.

Il y a peu de choses simultanément aussi étranges et inquiétantes que l’inquiétante étrangeté. Et Clermont-Ferrand est une ville hautement littéraire. Sinon, moi ça va. J’espère seulement que vous n’êtes pas trop désarçonnés par le non-sens.

Emmanuelle Pireyre, qui a obtenu en 2012 le prix Médicis, s’y plaît bien. Décidément, le prix Médicis est à suivre : Jean-Philippe Toussaint, Mathieu Lindon, et maintenant Emmanuelle Pireyre avec le magnifique Féerie générale. J’ai été confronté à une certaine incompréhension, voire à un rejet total, en lisant un passage de ce livre lors d’un cercle de lecture.

Cette incompréhension est compréhensible. Le livre d’Emmanuelle Pireyre est un délicieux fatras : plusieurs grands chapitres aux titres non moins délicieux (« Friedrich Nietzsche est-il halal ? ») rassemblent des textes divers, de la confession au délire en passant par la réflexion ou les extraits de forums internet – mon copain embrasse mal, est-ce que c’est grave ?

La prose d’Emmanuelle Pireyre n’est pas obscure : elle est exigeante. Il n’y a, chez elle, aucun désir d’être incomprise (désir qui existe pourtant à l’état manifeste chez nombre d’écrivains). Seulement celui de suivre le plus fidèlement possible ses préoccupations, ses envies, son univers, ce qu’on appelle l’art en somme.

La prose d’Emmanuelle Pireyre n’est pas obscure : elle est exigeante. Il n’y a, chez elle, aucun désir d’être incomprise

On oublie souvent que l’art est expression avant d’être consommé de l’autre côté de la chaîne. Et que l’activité de mettre en fiction, d’insérer dans un récit, dans un flux, est toujours une concession faite au lecteur. Certes, il y a une certaine exaltation à créer des personnages, une intrigue – mais cela satisfait le lecteur qui est en nous, non l’écrivain.

Le sentiment qui se fait jour en nous à mesure que nous tournons les pages de Féerie générale peut s’apparenter à l’inquiétante étrangeté freudienne. Pourquoi ? Après tout, ce concept se rapporte à des personnages hésitant entre l’humain et l’automate (poupées animées, par exemple) : on ne trouve pas de tels personnages dans ce livre. Mais c’est le langage qui suscite cette impression. Alternativement, il semble automatique, emprunté, parodique, et soudainement humain.

Le funambulisme de ce texte hésitant entre l’automatisme et l’incarnation engendre un comique rare, comme on peut le trouver sur un de mes blogs préférés, La parole du Koala du poète Olivier Liron.

Clément Bénech