18 avril – 18 septembre 2013

Se tient à la Pinacothèque de Paris, et jusqu’au 18 septembre prochain, une exposition consacrée  à l’Art nouveau et à la peintre des années folles Tamara de Lempicka.

Tout passionné d’Art Déco se doit d’être ravi depuis le début d’année. Un vent des années folles souffle sur Paris. Tout a commencé avec l’exposition inattendue, ou plus justement très attendue du fait de sa rareté, au Centre Pompidou sur Elieen Gray, cette décoratrice iconique (mais oubliée) de l’Art Déco dont subsiste aujourd’hui de rares pièces uniques d’une qualité inégalée.

Dans un tout autre domaine, le film Great Gatsby (ayant déjà fait l’objet d’un billet) aura, à défaut d’être une ré-interprétation recherchée, eu le mérite de susciter la redécouverte de l’oeuvre de l’un des auteurs les plus iconiques des années 20: Francis Scott Fitzgerald. Ce serait alors un mauvais jeu de mot de dire que la «génération perdue» semble aujourd’hui retrouvée, mais jamais il n’y eût autant d’expositions et de ventes aux enchères consacrée à une période habituellement et malheureusement oubliée ou trop peu mise en valeur.

La Pinacothèque n’a pas non plus échappé à ce phénomène de mode avec sa double exposition: Art Nouveau, révolution décorative – Tamara de Lempicka, reine de l’art déco. Je ne vous cacherai pas que l’accueil d’une telle programmation fut pour moi mitigé: l’idée de passer quatre heures en compagnie d’œuvres trop rarement exposées me réjouissait autant que m’angoissait le fait que la Pinacothèque se charge d’une telle thématique après ma déception au sujet de l’exposition  Hiroshige-Van Gogh. Cependant, il était judicieux  de coupler une exposition sur l’art nouveau et une autre consacrée à une artiste phare de l’art déco.

Qui plus est, le choix de Tamara de Lempicka était lui aussi plein de bon sens, son oeuvre comme sa personnalité étant les ambassadeurs les plus adéquats des années folles. Néanmoins tant d’éloges de ma part cache une unique mais essentielle critique: le manque d’analyse et la faiblesse du fil directeur de l’exposition, qui consiste en une succession de thématiques sans lien les unes avec les autres. La Pinacothèque nous faisant un catalogue d’œuvres certes d’une très bonne qualité mais dont le titre pourrait tout aussi bien être L’art nouveau et l’art déco pour les nuls.

Jamais il n’y eût autant d’expositions et de ventes aux enchères consacrées à une période  habituellement oubliée

L’art nouveau ou l’art de la liberté

Il est pourtant intéressant de s’attarder sur l’art nouveau et ses fondements avant d’aborder et de comprendre l’art déco et, pour une fois, une approche chrono-thématique aurait été judicieuse. La Pinacothèque avait donc raison de consacrer une première exposition au premier mouvement mais aurait du approfondir cette analyse en prenant pour fil directeur le maître mot de l’art nouveau: la liberté. Ce manque d’analyse se ressent d’ailleurs dans le manque d’inspiration de l’intitulé de l’exposition: Art Nouveau, révolution décorative, purement descriptif, et digne d’une salle d’exposition permanente et non d’une exposition temporaire censée présenter le résultat d’une recherche aboutie.

Pour faire bref et comprendre l’émergence de cet art reconnaissable par un œil novice, déplaçons nous en 1895, date que l’onconsidère être celle du commencement de l’ère art nouveau. Cela fait presque un siècle, que de nombreux artistes sont à la recherche

Alphonse Mucha

d’un art nouveau, une  rupture avec le classicisme ambiant et étouffant. Plus synthétiquement, une recherche de liberté féconde de création. Création qui va toucher tous les médias artistiques. C’est le premier art total et international, à l’image de la guerre qu’il précède. C’est donc un art en adéquation avec la société: un art libre pour une société en pleine libération.

Ainsi, faire la fête n’est plus prohibé, mais au contraire de plus en plus recommandé, à mesure que l’art devient transgressif, s’emplit de sensualité avec ses courbes et arabesques rappelant manifestement le corps de la femme. Aussi, on assiste au premier essor d’une société de consommation à travers les grands magasins, revues, campagnes publicitaires, et c’est la première fois que l’art s’immisce dans autre chose que l’art, prenant en quelque sorte le contre-pied du mouvement de «l’art pour l’art». En effet, Alphonse Mucha, graphiste renommé met ses talents à disposition de la publicité ou des affiches de théâtre.

Même vivement critiqué par des critiques et historiens d’art, ce mouvement ne demeure pas moins profondément moderne, véritable base à l’évolution ultérieure qu’a pu connaître l’art. Il paraît donc tout à fait légitime que l’art déco reste dans le même sillon, tout en ayant sa propre interprétation d’un art libre, il parait également légitime que certains surréalistes le réhabilitent en 1930, et qu’aujourd’hui il connaisse de nouveau un engouement digne d’une consécration de meilleure facture que celle ci.

Ce mouvement ne demeure pas moins profondément moderne, véritable base à l’évolution ultérieure qu’a pu connaître l’art

Tamara de Lempicka ou l’allégorie de l’art déco

Il faut reconnaître l’originalité dont à fait preuve la Pinacothèque de nous présenter l’oeuvre de Tamara de Lempicka pour illustrer le mouvement « art déco ». En effet on aurait pu tomber dans l’écueil d’une classique exposition de meubles. Cependant le manque de cohérence est encore une fois à déplorer. L’intitulé «Tamara de Lempicka, reine de l’art déco» laissait pourtant présager une exposition ayant un fil directeur intéressant dans lequel on aurait pu discuter du mouvement au travers de l’oeuvre et de la vie de Lempicka au lieu de quoi, on se retrouve devant une succession de salles qu’aucun lien thématique ne parvient à rattacher.

Cependant, la personnalité de Tamara est en congruence totale avec la philosophie même du mouvement de l’art déco.

Tamara de Lempicka

En effet, même si l’art nouveau s’est essoufflé pendant la guerre, laissant place à l’art déco, dépourvu d’arabesque, au profil géométrique épuré, l’idée d’un art emprunt de liberté et transgressif demeure: cette même transgression que l’on retrouve dans le mode de vie de Tamara. Mariée deux fois, son homosexualité n’en n’est pas moins bien affirmée, son allure garçonne fait d’elle l’égérie des femmes revendiquant un statut égal à celui de l’homme. Lempicka vit avec son époque: Tamara est mondaine, Tamara est superficielle, Tamara côtoie les quelques fortunes reconstruisant l’Europe d’après-guerre. Cependant, ce qui fait d’elle l’allégorie de l’art déco est avant tout son oeuvre, cette dernière en réunissant toutes les composantes: multi-média, moderne, international, décorative et reconnaissable.

En effet tout comme l’art nouveau, l’art déco se déploie dans tous les domaines et ne reste plus attaché à une production à vocation uniquement artistique, Tamara va dépasser des cadres des toiles et lier une partie de son travail à la mode soit en travaillant directement pour les magazines, soit en incluant dans ses toiles des robes de créateurs (Jeune Femme à la colonne, 1931).

Oeuvre également internationale, tout d’abord du fait de ses origines russes et de ses migrations successives mais aussi du fait de son oeuvre qui n’a eu aucun mal à se diffuser aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis.

Par ailleurs, Tamara a su développer son propre langage graphique, s’inspirant des classiques en passant de Boticcelli à Ingres, les mélangeant aux tendances cubistes de l’époque. Ainsi ses compositions sont de facture classique mais la fragmentation cubiste prend le dessus d’un sujet aux lignes géométriquement art déco.

Que ce soit en architecture, en design, en mode, nous avons rarement connu une évolution et un épurement des lignes aussi soudain. On peut y retrouver les fondements de « l’art dans tout », un art transgressif en adéquation avec une société elle même toujours plus transgressive. Il n’y a donc aucune surprise à ce qu’aujourd’hui on redécouvre le mouvement et s’y retrouve.

Pour conclure favorablement, cette exposition mérite tout de même un détour: il serait dommage de passer à côté d’œuvres d’une telle qualité trop rarement exposées par faute, peut-être, d’un peu de paresse d’analyse de la part des commissaires.

Danse, Alphonse Mucha, 1898