Sébastien Lapaque (© Franck Prignet / le Figaro Magazine)
Sébastien Lapaque (© Franck Prignet / Le Figaro Magazine)

Zone Critique vous présente un nouvel article en provenance de son partenaire, le magazine La Cause Littéraire. Aujourd’hui, retour sur la délicieuse Théorie de la carte postale de Sébastien Lapaque. 

Février 2014
Février 2014

Cette variation, dernière publication de Sébatien Lapaque, est une brillante et irrésistible promenade sensible dans l’esprit, dans l’histoire et la pratique de correspondances électives. Rêverie et manifeste des plus réjouissants dont le charme agit particulièrement à l’encontre de notre ère électro-numérique !

« On écrit les poèmes avec des mots », disait Mallarmé à Degas.

Lapaque, de la Bretagne à Paris, où il se trouve en alternance, se place en situation d’écrire des cartes postales, attablé aux terrasses des cafés. Quels qu’ils soient. Son leitmotiv ? Proposer une théorie de la carte postale. Non pas une dissertation, pas une Considération non plus, ni même un Traité avec des remarques abusives, examinées. Non, c’est et ce sera l’écriture d’un Traité de la carte postale ! Cette intention le précède et le devance depuis un certain temps au point d’ajourner tout autre projet d’écriture.

La démarche lui apparaît naturelle. Naturel de perpétrer et de comprendre cette mécanique d’écriture, cette gestuelle, via le filtre de la démarche poétique des écrivains et poètes des 19ème et 20ème siècles. La variation s’imprègne de cette évidence d’écrire des cartes postales ou des lettres de manuscrites, pour conjurer tout le mal qu’on fait au langage, à tous les mots. Un Traité de la carte postale pour faire acte de résistance. Lapaque mène alors son petit chemin aventureux littéraire. Il voyage, relit, compulse et c’est formidable. Avec ses mots à lui, sans le réflexe d’emprunt aux mots des poètes, aux grammairiens, il poétise et orne sa théorie, il la propose, la construit, la pense et la possède, ainsi, au gré du vent et de ses balades, il exprime sa fantaisie personnelle sur laquelle se brodent également ses mots personnels, ses mots lumineux projetés vers le ciel…

« Une carte postale au temps des SMS, c’était la revanche de la relation concrète ; … dans un monde qui ne parlait plus que le langage binaire des ordinateurs ».

L’auteur dit la beauté de la carte postale, concise et courte, pour produire de la poésie automatique. Oui, dire la beauté même s’il peut toujours apparaître convenu de résumer le projet à ces trois mots : luxe, calme, et volupté. Traité de la carte postale avec des mots d’allégresse, des mots de féérie, des mots bleus. C’est pourtant bien de cela dont il s’agit.

Ecrire une carte postale pour son auteur, ce n’est pas œuvre de nostalgie. C’est faire de cette carte un objet vivant parmi tant de gadgets inertes dont on accable nos vies simplifiées. C’est ostensiblement consentir à s’exprimer sans langage emprunté aux émissions de divertissement et à la publicité, c’est accepter de ne plus avoir recours aux tics verbaux.

Ecrire une carte postale pour son auteur, ce n’est pas œuvre de nostalgie.

Ecrire une théorie de la carte postale, Lapaque le vit comme une thérapie : prendre enfin soin des mots, s’appliquer à bien les écrire, les formuler différemment, c’est plébisciter des retrouvailles avec des plaisirs démodés, c’est retrouver les couleurs du bonheur, la brièveté des sensations, c’est s’aventurer vers des contrées étrangères, c’est abolir les frontières, c’est redécouvrir la joie et le bonheur de l’énumération, l’extase de la phrase courte, de la rime. L’application à écrire, et la jubilation de ne s’adresser qu’à un seul destinataire.

Au fil des pages toutes plus savantes et délicieuses les unes que les autres, l’auteur établit son petit protocole expérimental : comment va-t-il procéder ? Comment va-t-il écrire ses cartes postales ? Avec ou sans enveloppe ? Ne rien oublier surtout ! Et quelques pages ourlées sur l’aéropostale de Jean Mermoz, et les couleurs du temps, les définitions, les expressions, les aphorismes qui viendront s’imposer entre les rectos et les versos. Ce joli récit est parcouru par quelques bribes ou signatures de cartes postales envoyées ou reçues personnellement, et par des citations de poètes – Rimbaud, Aragon, Cendrars, Toulet, Saint-Exupéry, Baudelaire s’intercalent et se passent ainsi le flambeau lâchés en roue libre dans ces 100 pages poétiques, plus poétiques les unes que les autres. Le traité de la carte postale, un joyau littéraire.

« Il pensait souvent à Rabelais. Il se disait qu’on était injuste de faire de cet amoureux délicat de la langue française un écrivain de ripailles et de beuveries. Les voyelles de Rimbaud, A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu, émerveillaient petits et grands, mais plus personne ne daignait lire le chapitre du Quart livre dans lequel Pantagruel, Panurge et frère Jean des Entommeures embarqués sur l’Océan atteignent les confins de la mer de Glace et rencontrent les paroles gelées qui ressemblent à des dragées perlées de diverses couleurs. Quelle page, quelle verve, quelle fantaisie, quelles images, pourtant… “Nous avons vu des mots rouges, des mots verts, des mots bleus, des mots noirs, des mots dorés. Une fois réchauffés entre nos mains, ils fondaient comme neige, et nous les entendions réellement”. Il admirait les dons de coloriste de Rimbaud et ses voyelles arc-en-ciel. Mais il lui semblait devoir rappeler les droits d’aînesse des mots rouges, des mots verts, des mots bleus, des mots noirs et des mots dorés de messire François Rabelais ».

  • Théorie de la carte postale, Sébastien Lapaque, Actes Sud, février 2014, 100 pages, 10 €
  • L’article original

Laurence Biava