François Cheng (©Frederic MYSS/Opale)
François Cheng (©Frederic MYSS/Opale)

Cinq méditations sur la mort : autrement dit sur la vie. Que laisse présager un tel titre d’ouvrage du renommé François Cheng, écrivain, poète aux mille facettes, incarnant avec majesté un renouveau poétique et esthétique de la littérature française ? Une volonté d’attiser la curiosité du lectorat, ou bien une tentative de déconstruction de nos représentations mentales sur ce tabou occidental qu’est la mort ?

Octobre 2013
Octobre 2013

François Cheng, ce beau chevalier des lettres, incarnant le métissage sublime de “ la francophonie chinoise “,  élabore dans son dernier ouvrage un texte dévoué à un sujet qu’il avait déjà exploré avec tendresse et finesse dans ses Méditations sur la beauté:  une réflexion sur la valeur de la vie, mais utilisant des chemins de traverses, des détours philosophiques et métaphysiques lui permettant d’aborder la question de l’infini, à travers le troublant rapprochement avec la transcendance qu’instaure la disparition d’un être.

Ce livre est aussi la pérégrination personnelle d’un écrivain dont l’élégance du visage traduit  la subtilité des errements et la complexité du rapport à la vieillesse. On trouve ainsi dans les Cinq méditations sur la mort une interrogation profonde de l’écrivain sur sa propre finitude, et sur le passage au néant, au regard d’une carrière littéraire prolifique, couronnée de succès, et notamment par le grand prix de la francophonie de l’Académie française.

Polyphonie de voix

Cinq méditations sur la mort se présente donc comme l’ébauche d’un questionnement sur la construction identitaire a travers la mort : celle-ci n’étant pas pour l’auteur de L’éternité n’est pas de trop un absolu terrifiant, mais au contraire ce qui permet a l’existence de se révéler dans sa  plénitude esthétique et intellectuelle.

La singularité de François Cheng  au regard de cet engagement littéraire et philosophique réside dans la polyphonie de voix qu’il instaure : le poète allemand Rainer Maria Rikle  entre ainsi en communion avec le taoïsme, et Dante à travers l’entrelacement sublime des tourment de l’Enfer, répond à l’énigme de la parenté entre la mort et la vie de la pensée de Saint François d’Assise. Ainsi, à la dichotomie confrontation/soumission de la culture occidentale et celle de son pays natal, la Chine, François Cheng  préfère la pluralité de voix, établissant ainsi une poétique de la relation et du dialogue entre deux univers culturels antagonistes.

Cependant une saveur étrangement amère se dégage de la lecture de cet ouvrage, comme un parfum capiteux qui loin de vous enivrer les sens libère au contraire une odeur douceâtre, aux antipodes d’un florilège de senteurs olfactives .

Parfum capiteux

Là où la plume légère et savoureuse de François Cheng nous avait habitué à une tendresse déchirante, à une retenue pudique des sentiments, c’est un phrasé sentencieux et dépourvu de toute grâce qui se dessine dans ce dernier ouvrage. La poésie semble s’être évanouie  au profit d’une langue digne des magasines de vulgarisation scientifique ; et l’on trouve ainsi des expressions langagières qui laissent dubitatif à propos notamment de la théorie du Big Bang, tels que  “hop” ou “cela a pris” .

Ainsi, même si l’auteur s’attache avec  délicatesse, à l’instar de Milan Kundera dans L’ignorance, à la question des origines, et de l’appartenance pour un exilé, un apatride, et surtout à celle d’une définition d’ «un Grand retour» , l’intrusion dramatique d’un langage réduit à sa fonction de communication, nuit à la finesse et à l’humilité des idées avancées.

Effleurement du désir

Cependant il faut reconnaître quelques qualités à cet ouvrage: la plus éclatante est celle de la douceur et de la vitalité  du discours de François Cheng, loin de la morosité ou de la morbidité que peut laisser présumer un tel sujet. L’auteur s’attelle avec une certaine candeur à enfanter une création esthétique touchante en revalorisant  le trouble que suscite le néant qui devient une élévation, une sorte de purification, d’accession à un don de soi; une démarche que l’on retrouve dans un autre de ses romans au titre éblouissant, L’éternité n’est pas de trop.

Méditations sur la mort n’est pas l’oeuvre la plus aboutie et poétique de ce grand romancier, de ce «passeur de cultures»

Méditations sur la mort n’est pas l’oeuvre la plus aboutie et poétique de ce grand romancier, de ce «passeur de cultures», qui jongle tel un funambe avec langueur et volupté sur le fil de l’écriture, embrassant les chimères et destinées de personnages silencieux et  délicats .

Terminons cependant cet article par un extrait sur l’effleurement du désir qui constitue une véritable  acmé stylistique de l’écriture de François Cheng : ” Entre deux mains aux doigts noués, le moindre frémissement bruit de battements d’ailes ; la moindre pression provoque une onde qui s’élargit de cercle en cercle. La main, ce digne organe de la caresse, ce qu’elle caresse ici n’est pas seulement une autre main, mais la caresse même de l’autre. Caressant réciproquement la caresse, les deux partenaires basculent dans un état d’ivresse qui a peut-être été rêvé dans l’enfance, ou alors dans une avant-vie. Les veines entremêlées irriguant le désir se relient aux racines profondes de la vie ; les lignes entrecroisées qui prédisent le destin tendent vers le lointain, jusqu’à rejoindre l’infini des étoiles. “

  • Cinq méditations sur la mort : autrement dit sur la vie, François Cheng, Albin Michel, 180 pages, 15 euros, octobre 2013.

Mariame Sano