Fiston Mwanza Mujila
Fiston Mwanza Mujila

Tram 83 de Fiston Mwanza Mujila, porté aux nues par la critique, et grand Prix SGDL du 1er roman – 2014,une véritable déception ? C’est en tous les cas le point de vue de notre contributeur qui revient sur les raisosn de cet échec littéraire. 

Janvier 2015
Août 2014

Ce début d’année 2015 est littérairement grandiose : contre Houellebecq, Virginie Despentes fouille dans Vernon Subutex les bas-fonds de la société pour en dévoiler sa vérité sociale au lieu de se perdre dans une satire caricaturale, grandiloquente, grotesque, ridicule à l’image du dernier livre de Houellebecq. Olivier Cadiot avec Providence est à la consécration et à un tournant marquants de son œuvre poético-littéraire. La Maison des feuilles de Mark Z. Danielewski est enfin disponible en version poche chez Points.

Et puis, récemment, on m’a conseillé le livre de Fiston Mwanza Mujila, intitulé Tram 83, aux éditions Métailié.

« Formidable :un écrivain congolais qui vit en Autriche. » Partant avec un fort parti-pris optimiste, j’étais prêt à en dire le plus grand bien.

Malgré tout, la Littérature doit demeurer la seule règle, omniprésente et impitoyable, durant la lecture de tout roman.

Quelle déception, et cela dès l’exergue de Tram 83 où F.M. Mujila semble avoir désiré contourner le verset chrétien que nous résumons communément ainsi : « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front », pensant avoir déniché une formidable trouvaille littéraire il écrit, donc, en exergue : « Tu mangeras à la sueur de tes seins. » Oui… Je ne suis pas absolument convaincu par la pertinence du trait d’esprit… Bien que le thème du roman de Fiston Mwanza Mujila soit bien celui-ci : le portrait d’un(e) Ville-Pays à travers les clients du tramway-bar nommé Tram83 où s’y côtoient « musiciens par inadvertance ou prostitués du troisième âge ou prestidigitateurs ou pasteurs des églises de réveil ou étudiants aux allures de mécano ou médecins diagnostiquant dans les boîtes de nuit ou jeunes journalistes déjà à la retraite ou travestis ou bradeurs de chaussures de second pied ou amateurs de films pornos ou bandits de grand chemin ou proxénètes ou avocats radiés du barreau ou hommes à tout faire ou ex-transsexuels ou danseurs de polka ou pirates de mer ou (…) », en plus de Requiem et Lucien, deux acolytes qui se détestent cordialement mais font tout de même ensemble les quatre cent coups.

Pour un premier roman, le moins que l’on puisse dire, est que la prétention de son auteur est vertigineuse.

Pourquoi pas. Chaque chapitre débute par un résumé poétisé, à l’instar de l’habitude littéraire qui consiste à écrire le possible résumé en tête de chapitre, avec des traits d’union. Par exemple, en tête du deuxième chapitre de Sodome et Gomorrhe de Marcel Proust :

Les mystères d’Albertine. – Les jeunes filles qu’elle voit dans la glace. – La dame inconnue. – Le liftier. – Mme de Cambremer. – Les plaisirs de M. Nissim Bernard. – Première esquisse du caractère étrange de Morel. – M. de Charlus dîne chez les Verdurin.

Chez F.M. Mujila, nous lisons :

  1. Chez Requiem avec les filles-mères aux seins-grosses-tomates…

(…)

  1. Les hommes et les vents ont ceci en commun : ils n’ont pas les pieds sur terre. Nomades, ils viennent et ils partent comme les chagrins d’amour, les crispations, les indépendances, les guerres de libération, l’urgence de déféquer dans les escaliers d’un immeuble entre deux délestages.

(…)

  1. Deuxième nuit : la nuit portait ses maillots de bain et ses tricots de corps qu’elle oubliait d’essorer.

(…)

Pourquoi pas : ça commence mal, certes. Mais, pourquoi pas. Revenons aux premières pages du texte :

(…)

– Gare du Nord. Vendredi. Vers les sept-neuf heures.

Il était là depuis bientôt trois heures, se heurtant aux passants en attendant l’arrivée du train. Lucien avait pris soin d’insister sur la notion du temps et sur ces trains qui battaient tous les records : déraillements, retards, promiscuité… Requiem avait plus important à faire qu’attendre cet individu qui, au fil des ans, avait perdu toute importance à ses yeux. Depuis qu’il avait tourné le dos au marxisme, Requiem traitait de communistes du dimanche et d’idéologues de bidonville tous ceux qui le privaient de sa liberté de penser et d’agir. Il devait livrer une marchandise, sa vie en dépendait. Mais le train qui venait avec ce salaud de Lucien se faisait attendre.

Gare du Nord. Vendredi. Vers les…

— Monsieur voudrait une compagnie ?

Une fille, habillée comme on s’habille un vendredi soir dans une gare dont la construction métallique est inachevée, s’arrêta à sa hauteur. Un instant pour jauger la marchandise, un bruit sourd, un vacarme qui signalait l’entrée de la bête.

— Vous avez l’heure, citoyen ?  

Il avait suffisamment analysé la gamine et l’avait même imaginée sur son grabat malgré la pénombre. Il l’attira contre son corps, demanda son nom, “appelle-moi Requiem”, promena ses doigts sur les mamelles de la jeune créature, une autre phrase : “Tes cuisses, la prestance d’une bouteille de vodka…” avant de disparaître dans la masse, visqueuse, glauque, gluante, lugubre…

Il fallait une consigne. Indiquer un lieu où ils pourraient causer à tête reposée. La jeune femme insistant, il soupira, se mordit les lèvres et balbutia : “Rendez-vous au Tram 83.”

(page 10.)

Non, non : les trains ne battent pas des records de « promiscuité » ni même de « retard » quand on y pense… Personne n’a sa vie qui dépend de la livraison d’une marchandise en attendant  quelqu’un qui n’a plus aucune importance à ses yeux… Surtout qu’il serait vraisemblablement incapable d’attirer ni même de draguer avec autant d’aisance, de prétention et de bêtise, une femme sur le quai de la gare, si sa vie à lui était en danger… Et s’habille-t-on vraiment d’une certaine manière lorsque l’on se rend le vendredi soir dans une gare inachevée ? Existe-t-il encore des citoyens en situation de crise sociale ? Parvient-on seulement à séduire en employant le mot « citoyen » ?

Malheureusement, Fiston Mwanza Mujila se perd continuellement, mot après mot, dans la recherche perpétuelle de virtuosité sans jamais y aboutir, auto-détruisant les métaphores qu’il suggère et les significations qu’elles devraient véhiculer.

Fiston Mwanza Mujila se perd continuellement, mot après mot, dans la recherche perpétuelle de virtuosité sans jamais y aboutir, auto-détruisant les métaphores qu’il suggère et les significations qu’elles devraient véhiculer.

Phrase après phrase.

La lecture en est insupportable.

Jusqu’aux dernières pages :

23. Au Tram pour s’identifier à la musique des blancs, parlementer et grignoter des brochettes à base de chien aux champignons, en quatrième de couverture la bière-de-Brazza.

Pour désamorcer la bombe entre les frères ennemis, Émilienne proposa une rencontre au Tram pour des tournées de bière.

Requiem refusa.

– Lucien me déplaît !

Elle chargea Mortel Combat d’entreprendre des négociations. Il devait convaincre les protagonistes de la nécessité de cette soirée de beuverie. Il [Mortel Combat] accepta volontiers, mûrissant de folles idées pour ses seins [ceux d’Émilienne] qui alimentaient moult débats sur l’anatomie du corps féminin. [il est mieux d’ignorer qui débat des seins d’Émilienne : l’ellipse involontaire est ici heureuse de la part de Mujila.]

Requiem se rétracta à condition d’être accompagné de toute sa bande qui vous buvait de la bière, vous n’avez pas idée. [Requiem se serait rétracté si toute sa bande ne l’avait pas accompagné etc., plutôt ?] Lucien hésita comme toujours.

– Vous avez l’heure ?

C’est dans cette atmosphère qu’ils convinrent de l’heure et de la nuit qui correspondaient avec le concert de la diva des rails. [ = la rencontre fut décidé et fixée à la même heure que le concert de la diva des rails.] Mortel Combat arriva en premier, pour solliciter les services rapides d’aides-serveuses, vu les circonstances de la rencontre.

On servit la boisson. Émilienne s’excusa. [Pourquoi ? « Après quoi ou Puis Émilienne les quitta », simplement ? Ou bien, Émilienne leur a-t-elle vraiment présenté ses excuses ?]

Requiem et ses disciples s’adressant à l’écrivain :

– Pauvre mec.

(page 141.)

Effectivement, on comprend pourquoi les personnages s’en prennent aux écrivains : Fiston Mwanza Mujila n’en est pas encore un, et cela malgré ses perpétuels efforts à vouloir créer un style d’écriture, qui échoue toujours à s’élever à la hauteur de son ambition.

Tram 83 est une satire caricaturale, grandiloquente, grotesque, ridicule d’un(e) Ville-Pays.

Comme si l’on en manquait.

Et, par ailleurs, très mal écrit, ce qui ferait presque regretter Houellebecq.

Le comble du sordide.

  • Tram 83, Fiston Mwanza Mujila, éd.Métailié, 16 euros, août 2014.