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Zone Critique vous propose de découvrir aujourd’hui le travail de l’artiste contemporain Leonardo Marcos, qui, à travers sa poésie digitale, tente d’inscrire la poésie dans une démarche contemporaine, et de rendre les mots vivants en les animant dans l’espace.

Le propre d’une œuvre d’art est d’être le fruit d’une réception ajoutée à ce je-ne-sais-quoi qui lui donne sa mystérieuse singularité. La culture est un agrégat de plusieurs éléments reliés entre eux, se nourrissant les uns les autres, à l’instar des cellules reliées par les synapses. De ce point de vue, une œuvre naissante se rapporte en somme à un nouvel élément venu s’ajouter à ce grand entrelacement continu qu’est la production culturelle, dans laquelle il faudrait, selon la maxime de Goethe « faire meilleur avenir avec les éléments élargis du passé ».

Dans la production littéraire, il existe un enfant timide – non terrible, car celui-ci est l’œuvre du provocateur –, c’est la poésie. Les poètes contemporains sont un petit nombre, souvent méconnus du grand public. Nous retenons bien évidemment la contemplation d’un Philippe Jaccottet, la subtilité d’un Jacques Réda ou la manière de sublimer la médiocrité d’un Michel Houellebecq. Cependant, ces poëtes s’inscrivent dans une tradition, somme toute, très classique. – Nous utilisons le terme poëte avec la graphie qui vient du grec afin de souligner la valeur de créateur et d’artisan inhérente à l’écrivain. – Interrogeons-nous : Comment revitaliser la poésie ? Comment la rendre contemporaine ? Comment lui rendre sa fougue ?

Beaucoup de poëtes, à commencer par Mallarmé avec Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, ont tenté de rendre la poésie visuelle par l’agencement des mots sur la page. Néanmoins, le plus célèbre d’entre eux est sans nul doute Apollinaire et ses « idéogrammes lyriques », mais aussi Cendrars et cette publication merveilleuse La Prose du Transsibérien par Sonia Delaunay, puis aujourd’hui Anne Portugal, par exemple, et ses mises en page poétiques en diptyques. Les poëtes sont des tisseurs. Ils poussent les mots dans leurs retranchements afin d’en saisir le suc et leur toute-puissance. Aussi, au-delà du sens propre et signifié que possède un mot, ce dernier suscite et exalte l’ouïe par ses sonorités, la vue par sa graphie. Le mot est synesthésique. On peut donc déclamer un poème avec intensité en suscitant plusieurs sens à la fois. C’est le parti qu’a choisi Leonardo Marcos.

Artiste contemporain pluridisciplinaire, Leonardo Marcos est un marcheur, un flâneur accompagné d’un crayon et d’un petit carnet dans lequel il note ses impressions à l’instar des haïkus qu’il affectionne tout particulièrement pour saisir l’instant et le suspendre. La poésie est au cœur même de tout son travail. Elle en est même son centre névralgique.

Après avoir saisi l’instant par les mots, il s’est attaché à les rendre vivants en les animant dans l’espace. Grâce à la poésie digitale, les mots prennent les formes de la vie, littéralement, par le graphisme pensé, les couleurs choisies – je vois les mots et leur couleur aurait pu dire Baudelaire – et à travers un mode de projection bien spécifique, donnant lieu à une démarche hautement synesthésique.

Dialogue entre les arts

Il y a l’idée d’une superposition d’impressions et de rythmes dans les vers comme dans les projections : le signifié se confond avec le signifiant. La poésie digitale convoque et fait dialoguer plusieurs formes d’expression artistique et c’est en ce sens que la démarche est extraordinairement intéressante, car loin de fragmenter elle pense en terme d’union des arts, formant une conversation prononcée d’une seule et même voix.

Leonardo Marcos fait assurément « meilleur avenir avec les éléments élargis du passé » en inscrivant résolument la poésie dans une démarche contemporaine et en convoquant toutes les références classiques de la littérature depuis l’Antiquité. Nous ne pouvons pas voir ce que la poésie pouvait être à l’Antiquité, mais l’on peut très bien s’imaginer un Catulle ou un Tibulle déclamer leurs vers dans la rue, dans les théâtres, dans les festivals, avec de la musique et des coryphées. Pensons aussi à la poésie japonaise qui convoquait la musique et la représentation visuelle. Leonardo Marcos crée une poésie mouvante, intemporelle mais aussi pleinement inscrite dans notre époque technologique, condition sine qua non à la projection libre. Les mots sortent de la page et flânent eux aussi où bon leur semble… Couleurs, mouvements, musiques, les mots créent un univers rêveur dans lequel le spectateur-lecteur plonge, au croisement même de l’art numérique et de l’art littéraire.

Leonardo Marcos crée une poésie mouvante, intemporelle mais aussi pleinement inscrite dans notre époque technologique, condition sine qua non à la projection libre

L’un des enjeux de la poésie digitale de Leonardo Marcos n’est autre que de prouver que la littérature peut – et même doit – trouver de nouveaux supports d’expression. N’en déplaise aux puristes, la littérature contemporaine se révèle aujourd’hui être un art bel et bien vivant.

Théo Bellanger (PLGE) & Victoire Pallard (By Leonardo)