Dans Cent Mètres Papillon, au Théâtre de Belleville, Maxime Taffanel joue l’histoire de sa vie : celle de Larie, un adolescent qui rêve d’être champion de natation. Une histoire de jeunesse, de passion, de travail, une histoire de corps qui fait aimer l’odeur du chlore.

J’ai toujours détesté la piscine. L’odeur du chlore, le maillot qui colle, les lunettes qui dessinent des yeux globuleux, la stagnation de matières douteuses dans le pédiluve, les vestiaires où tout le monde se jette des regards par en-dessous. La natation enseignée en cours d’EPS (Éducation Physique et Sportive), ça a toujours été la grande angoisse. L’hiver surtout. Rapport aux cheveux qui crissent quand on sort du bâtiment municipal. Et regarder la natation à la télé, ça n’a jamais été une passion non plus. On n’a pas le temps d’allumer le poste que les épreuves courtes sont déjà terminées, les athlètes rhabillés, les médailles distribuées, ciao bye bye, on passe à l’épreuve suivante. Les épreuves longues m’épuisaient rien qu’à regarder ces mastodontes faire onduler – ou déborder, pour les nages un peu plus rugueuses que la brasse – l’eau des bassins sans s’arrêter, jamais. Des hommes et des femmes gigantesques, engoncés dans des combinaisons en titane, au regard noir derrière les vitres teintées, sans cheveux, sans yeux. Des monstres, fascinants certes, mais des monstres tout de même. Et on était tout chamboulé quand on les voyait habillés, en jogging, le sourire plein de dents ou la larme à l’œil, sur le podium ou au micro de Nelson (Monfort). Des humains, à taille inhumaine certes, mais des humains tout de même.

« Écrire, plonger, écrire, plonger. »

Maxime Taffanel est un de ceux-là. Enfin, plutôt, était. Aujourd’hui, sur la scène du Théâtre de Belleville, il s’appelle Larie. Larie a seize ans et rêve de devenir champion de natation, comme le dieu des bassins, Michael Phelps. Il est tout seul au milieu d’une grande scène noire, presque petit dans son ensemble gilet-jogging en matière synthétique. Il nous raconte, dans une logorrhée dense mais limpide, son histoire : la vocation, les collègues, les victoires, le coach, la fin des temps bénis. Le texte c’est Maxime Taffanel lui-même qui l’a écrit. Fort de son expérience de nageur, le jeune comédien propose un seul en scène costaud : tour à tour, il parle, il imite, il interprète, il danse. Ça dure une heure, et pourtant ça renverse, ça tourbillonne.

Si les débuts sont un peu difficiles à digérer, Maxime Taffanel nous embarque très vite avec lui et on plonge avec délectation dans le grand bain, dans son univers aquatique : il impose son rythme, celui du cent mètres papillon, sa discipline de prédilection, et la salle le suit, avec un plaisir non dissimulé. On est happé et comme hypnotisé par ce qui se montre devant nos yeux : le corps de l’acteur, qui devient, en soi, un évènement scénique. Massif, solide, impressionnant, Maxime Taffanel impose son physique comme la clé de voûte de sa pièce.

Massif, solide, impressionnant, Maxime Taffanel impose son physique comme la clé de voûte de sa pièce

A la fois sujet et objet, dans la lumière et dans l’effort, le corps éblouit : Larie se vêt, plonge, se lance, danse, plie, se dévêt, pousse, a peur, hurle, se passionne. Larie nage. Il n’y a pas d’autre eau sur scène que la sueur qui baigne le corps de Maxime Taffanel, et pourtant on voit Larie nager. On entend le son sourd sous l’onde, on sent le chlore, on est habillé de la robe de bulles, on compte les carreaux au sol, on voit bleu. On peut déplorer que la création lumière ne soit pas à la hauteur de ce corps d’acteur, mais on accorde une mention spéciale à Maxence Vandevelde, créateur musical, qui nous emporte avec des sons, des rythmes, des ambiances qui donnent envie de se lever et d’aller sur scène danser, ou bien nager, on ne sait plus bien.

L’eau et les rêves

Et puis Larie sort la tête de l’eau et se transforme : son « corps de poisson [est] devenu corps de scène ». Dans sa collection de personnages plus hauts en couleurs les uns que les autres, on retrouve l’entraîneur qu’on aime et qu’on déteste, le cruel chronomètre vissé à la main, le compagnon de bassin qui roule des mécaniques pour impressionner la galerie, la maman du petit champion (a.k.a. « Tigrounet »), et même Nelson (Monfort) ou un de ses cousins au laïus inarrêtable. Il y a un vrai abandon dans ces différentes interprétations de caractères, qui ressemblent moins à un catalogue de caricatures qu’à un jouissif morceau de bravoure théâtral.

C’est drôle, et juste. Mais surtout c’est touchant. Parce qu’on sait que quelque part Larie, c’est Maxime Taffanel, et un peu tous les champions, mais pas aussi champions que Michael Phelps. Des champions humains, qui s’émeuvent d’un public venu pour les championnats de France Junior, qui se permettent d’être surpris, qui savent accepter la défaite, et sentent quand il est temps de tout arrêter. J’ai été épuisé de cette longueur, effectuée en compagnie de Larie, mais épuisée d’une bonne fatigue : avec lui, j’ai sué, j’ai ri, j’ai haleté, j’ai rêvé. Aux côtés de ce corps parfois ondulant, parfois aqueux, tout le temps présent, matière vivante au plateau qui fascine et qui échappe, je peux dire que j’ai suivi le courant des rêves. J’ai même eu envie de retourner nager.

  • Cent Mètres Papillon, un spectacle de et avec Maxime Taffanel, mis en scène par Nelly Pulicani, au Théâtre de Belleville, jusqu’au 29 novembre.

Claire Saumande