À l’approche d’un éventuel troisième reconfinement, nous sommes fiers de présenter à nos lecteurs ces quelques fragments d’un dialogue inédit de Platon vraisemblablement rédigé par l’auteur du Théétète autour de -372 avant Jésus-Christ. Mettant en scène Socrate aux prises avec Gnathon suite aux ravages qu’entraine l’arrivée de la peste à Athènes, cet extrait résonne curieusement avec notre actualité et la crise sanitaire mondiale que nous traversons depuis bientôt un an.

– C’est parce qu’il protège notre avenir, dit Gnathon, que le confinement est à mes yeux si précieux, non seulement pour les jeunes gens, mais également pour les vieillards. C’est grâce au confinement que le temple d’Asclépios n’est pas saturé, et que nous pouvons, en payant des dettes et en accomplissant de lourds sacrifices, vivre sans crainte en ce monde. N’en déplaise aux impatients et aux plus pauvres. Le confinement a bien des désagréments, mais il offre aussi de sérieux avantages ; étudier, passer sa journée devant des papyrus, jouer de l’hélicon ne sont pas les désagréments les plus cruels.

– Gnathon, dit Socrate, ce que tu viens de dire est très beau ; mais est-il bon de considérer que l’on est mieux confiné que non confiné ? Par exemple, si un homme veut sortir, et que notre aréopage lui interdit de le faire, est-il vraiment sensé de refuser à cet homme ce qu’il veut ? Non, car il agit selon sa raison et selon son bien. Sa raison voulant son bien, et non son contraire, il faut laisser à l’homme la possibilité d’agir comme il le souhaite. Cela est certain car [texte manquant]. Être confiné est donc moins bon que de ne pas l’être.

– Nous ne pouvons en être sûrs, l’interrompit Polémarque. S’il faut en croire Gnathon, qui a fait le tour d’Athènes avec des tests PCR, PCR multiplex Canal + ligue 1 et PCR Conforama à double détente LCD HD, tout laisse à penser que le barème du taux de positivité du Parthénon est plus élevé que la courbe d’incidence du Pirée, qui est elle-même moins alarmante que celle présentée par Glaucon.

– En effet, elle est moins alarmante, ajouta Glaucon.

– Puisque tu en sais plus sur la situation, apprends-moi donc, Polémarque, ce que disent les très fines observations de Glaucon.

– Oui, raconte-lui, Polémarque, renchérit Glaucon.

– Elles disent que le confinement réduira drastiquement la circulation de la peste ; et en cela, je trouve qu’elles disent vrai. Les observations de Glaucon sont particulièrement éloquentes car Glaucon est un sage.

– Oui, je suis un sage, répondit Glaucon.

– Et Glaucon, reprit Polémarque, préconise avec justesse de confiner chaque famille avec un médecin compétent afin de les éloigner de la rue incertaine.

– C’est pour ses idées originales, dit Gnathon, que je me réfère tant à son jugement ! Mais peut-être, Socrate, ne comprends-tu pas ce qu’il dit ? Il m’arrive moi-même de ne pas toujours suivre la technicité de son discours.

– C’est évident, Gnathon ne comprend pas que l’on sacrifie sa liberté durant le confinement, lui qui passe tout son temps libre à se confiner avec des médecins !

– Oui, cela est vrai, dit Glaucon.

– Et pourtant, indiqua Socrate, il semble que se confiner avec des médecins entraîne plus de risques de contamination que de circuler librement dans Athènes et [texte manquant].

– Oui, il est vrai, répondit Glaucon.

– Cependant, répondit Gnathon, nos augures, nos sacrificateurs et nos soignants, parfaitement respectueux de la distanciation de neuf coudées et rompus aux trois prières quotidiennes à Zeus, ne peuvent pas présenter de risques. Car les médecins soignent, ils ne rendent pas malades.

– Oui, cela est juste, répondit Glaucon.

– Sans doute, Gnathon ; mais si les médecins soignent, c’est parce qu’ils s’exposent aux malades. Or approcher des malades les rapprochent de la maladie. Glaucon fréquentant les médecins, Glaucon est proche de la maladie.

– Oui, cela est vrai Socrate, répondit Glaucon.

– Un homme malade peut faire plus de mal qu’une foule en bonne santé. Est-il donc si bon, Gnathon, de confiner les hommes avec leur médecin pour les éloigner des places bondées ?

– Mais si un homme malade rencontre une foule saine, la foule ne devient-elle pas malade ? Et alors, n’est-il pas préférable de l’empêcher ? Je n’ai pas à l’imposer aux hommes, la chose s’impose à eux comme une évidence : quel homme préfère la maladie à la santé ? La souffrance à la paix ?

– Oui, il est vrai, dit Glaucon.

– Oui, ajouta Polémarque.

– Oui, conclut Socrate. Mais reste à savoir quel jour est bon à confiner…

Ainsi Gnathon fit observer à ses pairs que confiner Athènes était préférable à ne pas la confiner.


Platon