Nous poursuivons ce dimanche notre rubrique hebdomadaire consacrée aux pastiches de grands écrivains, en proposant à nos lecteurs deux poèmes de Louis Aragon. Selon nos sources, ces œuvres, tirées du recueil inédit Les incendies du couvre-feu, furent rédigées à l’été 1943, alors que le poète et Elsa Triolet s’étaient confinés ensemble dans la ferme du Lauzas afin d’échapper aux troupes d’occupation allemandes.

Les blouses blanches 

Vous aviez réclamé des lits sonné l’alarme
Lorsque vint le virus couronné ricanant
Un an déjà que cela passe vite un an
Vous n’aviez pour soigner que le blanc de vos larmes
Menant contre la mort un combat permanent

Vous claquiez sous les doigts des emmurés des villes
Restés sauver des vies dans leurs lits délassants
Vous laviez nos crachats, nos glaviots fracassants
Nous avions oublié que nous étions fragiles
Sans masques pour boucher l’ennemi grimaçant

Nos bouches murmuraient merci dans la souffrance
Tordues par des rictus mielleux ou suppurants
De Dunkerque à Nérac d’Ornans à Saint-Véran
Nous étions tous chez nous et chez nous c’est la France
Nous chantions des matins unis et différents

Les serments fleurissaient vibrait l’envie de vivre
Jamais fut le printemps si pur ni embaumant
Nous promettions le jour d’après dans un moment
Bonheur à tous Bonheur comme on dit dans les livres
Demain nous écrirons notre nouveau roman

Adieu la peine et le plastique Adieu les roses
Arrivées du Kenya dans des avions fumants
Adieu l’insoutenable adieu la vie d’avant
Bientôt s’évanouiront nos folies nos névroses
Quand tout sera fini nous serons plus vivants

Laissant pour nous sauver vos veufs vos orphelines
Vous avez tendrement sacrifié vos élans
Mais à l’heure du couvre-feu nos doigts dolents
Lassés d’attendre en vain qu’enfin l’on nous vaccine
N’ont plus pour vous saluer qu’un signe désolant

Vous étiez désarmés quand les glaviots jaillirent
Des milliers qui donnaient leur corps à contretemps
Guerriers à contrecœur tombés en combattant
Des milliers qui soignaient la France à en mourir
Narguant les cygnes noirs d’un sourire éclatant

Hélas ô miroir

C’était au beau milieu de notre épidémie
Peignant ses cheveux longs qui tombaient jusqu’au soir
Elle oubliait le jour tombé comme un mouchoir
Sans être contemplée la splendeur s’affaiblit
C’était au beau milieu de notre épidémie

Peignant ses cheveux blonds qui glissaient sans mémoire
Elle oubliait le jour dans sa lente agonie
C’était au beau milieu de notre épidémie
La rue par la fenêtre hurlait comme un mouroir
Tordant ses cheveux d’or qui tombaient jusqu’au soir

Elle oubliait le jour et sa longue agonie
Nouant négligemment sa tresse on croyait voir
Noircir ses cheveux longs se tordant jusqu’au soir
Chantant sa solitude et masquant son ennui
Elle attendait le jour dans sa lente agonie

Tressant négligemment sa tristesse et le soir
C’était au beau milieu de notre épidémie
Noyant son soleil noir dans le jour infini
Loin de moi seule et belle à briser son miroir
Prisonnière épuisée par sa longue insomnie

C’était au beau milieu de notre épidémie
Hélas elle était belle à se mourir d’ennui

Et seule en son royaume échu comme un mouchoir
Ses mains s’évanouissaient sous les reflets d’ivoire

En peignant ses cheveux noircis par l’incendie
Elle avisa la rue vidée sombre et sans vie

Claqua pour nos soignants un langoureux merci
De ses mains labourant les épis blonds et noirs

Sa longue chevelure éblouie par le soir
Et cueillit sa beauté du jour par un selfie

Étienne De L’Estoile