Zone Critique revient aujourd’hui sur le dernier roman de Philippe Sollers, Légende, paru chez Gallimard où l’auteur œuvre depuis trente-huit ans en tant que directeur de revue puis de la collection “L’Infini”. À cette publication s’ajoute un deuxième roman, Agent secret – il fera l’objet d’une recension prochaine. Plus personnel, plus intime, il confirme son statut d’écrivain prolixe.
« Les représentants du vieux Dieu mort et de la vieille littérature sont destitués, mais continueront à parler et à écrire comme si de rien n’était, ce qui est sans importance, puisque plus personne n’écoute ni ne lit vraiment. Les Banques, le Sexe, la Drogue et la Technique règnent, la robotisation s’accélère, le climat explose, les virus poursuivent leurs ravages mortels, et la planète sera invivable pour l’humanité dans trente ans. Malgré tout, un nouveau Cycle a déjà commencé, et les masques tombent. À vous de juger. »
Voici le constat liminaire qu’offre l’adresse du dernier roman de Philippe Sollers, Légende, à son lecteur, formule qui sera ensuite reprise en clôture du roman dans le chapitre « Verbe ». Dans ces lignes, l’essence même du projet sollersien est contenue : l’écriture, l’art du roman est une « lutte » (et l’on pourrait même dire une « Guerre » pour reprendre le titre de l’un des chapitres du-dit roman) contre cette société où règnent la falsification et la répétition au service de l’abrutissement. L’individu créatif, aussi bien l’auteur lui-même que les nombreuses figures-artistes convoquées tout au long du roman, devient une exception, une marge salvatrice, face à son époque.
Le lecteur peut donc constater assez vite que nous sommes en plein « Sollers » et le reste du roman ne fait pas exception car l’on y retrouve aussi bien l’influence de la culture et de la pensée chinoise qu’une recherche stylistique et formelle marquée par un certain abandon de la tradition au profit de structures narratives éclatées.
Le voyageur atemporel
Pour comprendre la posture du narrateur de Légende, un parallèle presque évident, et qui semble assumé, est possible avec La Légende des siècles d’Hugo ; ce dernier étant d’ailleurs convoqué à plusieurs reprises en tant que personnage romanesque par Sollers. Il y a donc un dialogue évident entre les deux œuvres et si le projet est moins titanesque, les bribes apportées par le roman sont bien « de l’histoire écoutée aux portes de la légende »,comme Hugo définissait son oeuvre dans la Préface de la Première Série de La Légende des siècles