Semaine de fête nationale oblige, notre journal cannois met en lumière deux films français : le très attendu Titane de Julia Ducournau en Compétition officielle ainsi que Bruno Reidal de Vincent Le Port, présenté à la Semaine de la Critique. Deux autopsies de criminels.

  • Titane de Julia Ducournau

Dans Titane, la personnalité d’Alexia, l’héroïne, passe au second plan. Ce que veut mettre au devant de la scène la réalisatrice, c’est son corps. Le regard que pose la gente masculine sur ce corps serpentueux. Le regard qu’Alexia porte sur son propre corps. Le rapport au corps est indubitablement torturé : accident irréversible, agressions physiques, questionnements de genre, sexualité féroce, injections, accouchement douloureux… Une dimension charnelle qu’elle s’efforce pourtant de fuir en caressant lascivement les capots des voitures. Femme hybride rejetant de l’huile de moteur noire et poisseuse en guise de sang à l’image de la femme-extraterrestre d’Under the skin, plaque de titane incrustée dans le crâne, Alexia est comme possédée par une entité démoniaque dévoilant au grand jour ses pulsions criminelles. Julia Ducournau reste fidèle à l’esthétique de son premier film, Grave, en puisant son inspiration dans le cinéma des années 90 ainsi que dans une palette de couleurs néon. Titane s’inscrit dans un cinéma de genre trash, violent et gore. Il ne va pas sans dire que ce long-métrage – interdit aux moins de seize ans – a secoué les petites natures de la croisette. Si la première partie du film mettant en scène Alexia en cavale est électrisante, la seconde moitié traîne en longueur. Les dialogues s’éclipsent, l’esthétique néon s’estompe, la caméra se stabilise. Titane souffre d’une structure déséquilibrée et d’une trame narrative incomplète. De nombreuses questions qu’il aurait été intéressant d’exploiter en profondeur demeurent en suspens. Le film aura toutefois permis de révéler au grand public la sensationnelle Agathe Rousselle. Ce deuxième long-métrage ne semble pas être parvenu à égaler Grave en matière de puissance symbolique et de finesse scénaristique. Mais il n’en faut pas moins reconnaître que la tâche s’annonçait difficile pour la réalisatrice sur laquelle sont rivés les projecteurs depuis son entrée dans la cour des grands.

  • Bruno Reidal de Vincent Le Port

Avec Bruno Reidal de Vincent Le Port, nous voici de nouveau plongés dans les rouages d’un criminel de sang-froid ayant réellement existé. Nous sommes très loin de l’esthétique métallique et flashy de Titane, le premier long-métrage du réalisateur prenant racine dans la région vallonnée du Cantal au début du XXe siècle. Le rapport au corps est également très présent, de l’homosexualité refoulée du jeune garçon à son expérience de viol, en passant par le travail aux champs et la maladie guettant sa famille. Bruno partage de nombreux points communs avec Alexia : les deux criminels sont comme possédés par une entité démoniaque tout en poursuivant secrètement leur quête d’amour et de tendresse. Tous deux sont de même accablés par des questionnements gravitant autour de leur orientation sexuelle et plus généralement de leur rapport à la sexualité. Mais là où Titane se complaît dans l’opacité, Bruno Reidal fait le pari de la transparence. Avec sa voix légèrement chevrotante et son délicieux accent cantalien, Bruno Reidal séduit ses auditeurs par sa douceur et son apparente innocence. Il s’ouvre à nous comme s’ouvrirait un livre et se plaît à décortiquer son moi intérieur. Le spectateur découvre un criminel lucide et rationnel, soucieux d’expier ses péchés et intimement désireux de mettre fin à ses jours. A contrario, Titane ne laisse pas de place au repentir : Alexia calcine, transperce et strangule de sang-froid, sans jamais manifester le moindre remords. La mise en scène de Vincent le Port est minimaliste : la chaise sur laquelle est assis Bruno Reidal, sa maison familiale du Cantal, les couloirs du cloître de Saint-Flour qu’il arpente entre deux cours… Le jeu d’acteur de Dimitri Doré est irréprochable et d’une habilité diabolique. Bruno Reidal est un film efficace en matière de narration et dénué de fioritures. Toutefois, Vincent Le Port aurait gagné à sortir de sa zone de confort et de sa mise en scène pour intensifier son long-métrage à la manière de Padre Padrone. Un réalisateur et un acteur à suivre.