(c) Simon Gosselin

Au théâtre 13, la jeunesse est au rendez-vous. Le nouveau directeur Lucas Bonnifait met l’accent sur les jeunes compagnies, avec une programmation réjouissante et audacieuse que Zone Critique compte suivre de près. On commence avec le collectif le Grand Cerf Bleu, et sa dernière création autour de la figure de Robin des Bois.

Théâtre documentaire… ou presque

Et ça, c’était prévu ?

On ne sait pas bien quelle forme aura choisi le collectif pour cette exploration en forêt de Sherwood, et c’est bien là le charme du spectacle dans lequel on entre petit à petit, en tâtonnant, en souriant. Où veulent nous mener ces sympathiques comédien.nes qui ont l’air de jouer leur rôle sans le jouer tout en le jouant, à grand renfort de photos d’enfance, adresses directes au public, livres cornés empilés sur la table, et reconstitution d’interviews autour de la légende du voleur au grand cœur ? Il est certain que nous serons délicieusement trompés, que nous ne discernerons jamais le vrai du faux, et au fond c’est ce que j’aime par-dessus tout, la frontière troublante de l’illusion dans ce faux contrat de réalisme que semble passer le collectif avec nous. Ce faux contrat va même très loin, et je n’en dirai pas plus pour ne pas griller la très intelligente construction du spectacle, mais à plusieurs reprises le frisson m’a parcouru l’échine : « et ça, c’était prévu ? »

Devenir Robin

Les comédien.nes/personnages se fixent pour mission de chercher ce qui reste aujourd’hui de Robin, et surtout de son fameux credo, « voler aux riches pour donner aux pauvres ». Que retient-on de notre héros bandit ? Vivre dans la forêt ? S’affranchir des lois ? Rétablir une forme de justice autoproclamée ? Résister aux descentes de police ? Choisir un mode de vie en collectivité, où l’on abandonne son identité personnelle au profit d’une lutte collective et solidaire ? La résonance est troublante avec certaines révoltes actuelles. Et si au temps de Robin les riches pouvaient être détroussés dans la forêt, et les espèces sonnantes et trébuchantes littéralement redistribuées, la circulation magique et abstraite de l’argent immatériel dans nos sociétés contemporaines fait passer Robin pour un amuseur en collants. Comment agir sur les têtes lointaines des multi-milliardaires ? Peut-être ne nous reste-t-il que le chamboule-tout…

L’habile construction dramaturgique nous met face à un retour à l’envoyeur qui exclut tout happy end.

En tout cas, le mérite notable du spectacle est d’intégrer toutes les contradictions à la position de Robin, et aussi de questionner la récupération politique des symboles. L’habile construction dramaturgique du spectacle nous met face à un retour à l’envoyeur qui exclut tout happy end, et nous laisse rempli.es de questions et de paradoxes. La question du vrai et du faux, de la posture « documentaire » face à la posture « fictionnelle », se dissémine à tous les niveaux du spectacle et tant dans le fond que dans la forme.

Le mythe et son revers

(c) Richard Sammut

Ainsi la geste médiévale, le discours officiel, mais aussi le fantasme du héros, le vrai-faux chêne de Sherwood sur la vraie-fausse tombe de Robin, le re-enacting de scènes à la sauce Grand Cerf Bleu, le déguisement en feutrine verte et les flèches en plastique sont autant d’éléments qui, assemblés, dialoguent avec le mythe. Tout comme la couleur médiévale d’une musique jouée au plateau, avec luth, violoncelle et flûte à bec (si si). Et nous naviguons avec plaisir dans cet univers, un peu foutraque et visuellement très réussi, où un collectif se demande comment faire la révolution – une fois encore, créer en collectif semble appeler presque naturellement une réflexion sur la nature et la force du collectif, sur sa possibilité et ses limites politiques.

Il faut saluer le travail ambitieux mais toujours humble et drôle d’un groupe en pleine recherche, capable aussi bien d’auto-dérision que de moments de grâce sur fond de luth mélancolique. Prix du public au festival Impatience en 2016, le trio créateur du Grand Cerf Bleu confirme un rapport généreux au plateau, et multiplie les formats pour entourer son sujet. Surprenant et vivifiant !

  • Robins – expérience Sherwood, Collectif le Grand Cerf Bleu, écrit et mis en scène par Laureline Le Bris-Cep, Gabriel Tur et Jean-Baptiste Tur, au Théâtre 13/ Bibliothèque jusqu’au 8 octobre 2021, puis les 18-19 novembre au théâtre de Vanves dans le cadre du festival OVNI