André Derain, Le Séchage des voiles, 1905.

« Il ne s’agit pas de peindre la vie, mais de rendre vivante la peinture ». En une phrase Bonnard exprime la pensée des artistes modernistes français. Au XIXe et XXe siècles, divers mouvements rythment la production artistique mais tous ont la même vision de l’art : un art libre, qui s’affranchit des canons esthétiques en vigueur et du réel. La modernité devient dès lors un mode de pensée en rupture avec les codes classiques de l’art. Introduit par Manet et Monet avec l’impressionnisme dans les années 1860, ce courant artistique se répand rapidement auprès des autres artistes tel que Renoir, Van Gogh, Matisse… La fondation Louis Vuitton nous propose, jusqu’au 22 février 2022, un panel des œuvres qui ont marqué l’histoire des arts

La fondation Louis Vuitton expose les œuvres de la collection Morozov jusqu’au 22 février. Cette exposition rend hommage aux collectionneurs moscovites Ivan (1871-1921) et Mikhaïl Morozov (1870-1903). Les deux frères Morozov sont connus aujourd’hui pour leur grande collection d’art moderne français et russe. A eux deux, ils cumulaient près de 750 œuvres après leur mort. La première salle leur est d’ailleurs consacrée. Elle présente des portraits de la famille et de l’entourage des Morozov par des peintres de l’école russe, parmi lesquels Ilya Répine (une rétrospective lui est consacrée au Petit Palais en ce moment). Ces portraits traduisent bien le contexte et le milieu dans lequel la famille Morozov a vu le jour.

A travers l’exposition, la Fondation se donne pour objectif de « retracer l’histoire de ces industriels philanthropes et de comprendre l’étrange « art de collectionner » » qui les animèrent. Leur collection se compose en majorité de peintures des mouvements impressionnistes et post-impressionnistes mais l’on retrouve quelques sculptures également. L’exposition se consacre principalement aux œuvres françaises à l’origine de l’art moderne, notamment avec les peintures de Manet et de Picasso.

Henri Matisse, Zorah sur la terrasse, Huile sur toile, 1912, Musée Pouchkine

Une ode à la couleur.

La caractéristique principale de l’exposition est la profusion de toiles colorées. La couleur est le sujet central des toiles exposées. En effet, les mouvements post-impressionnistes axent leurs recherches sur la couleur en tant qu’élément symbolique. C’est le cas par exemple des fauves ou des nabis, avec Henri Matisse et ces œuvres aux couleurs éclatantes ou Pierre Bonnard et son triptyque La Méditerranée (1911). Ensemble marquant par son format et son sujet, on se sent presque emporté sous le soleil, à côté de ces personnages occupés à leurs activités. Pour un moment, on semble appartenir à l’œuvre et marcher le long de cette terrasse.

Ensemble marquant par son format et son sujet, on se sent presque emporté sous le soleil, à côté de ces personnages occupés à leurs activités. Pour un moment, on semble appartenir à l’œuvre et marcher le long de cette terrasse.

Cette exposition nous invite à un voyage permanent à travers le monde et le temps. On part pour la Méditerranée, puis on dérive à Tahiti avec Gauguin ou au Maroc avec Matisse. La période tahitienne de Gauguin nous amène à l’autre bout du monde, dans les scènes de la vie des Polynésiens. Cette thématique exotique se retrouve également dans les peintures orientalistes et colorées de Matisse. Son Triptyque marocain (1912-1913) traduit le goût du rêve et de la contemplation partagé par l’artiste et le collectionneur.

La collection des Morozov accorde une place importante à la peinture de paysage. Effectivement, la nature occupe une place primordiale dans l’exposition : plusieurs salles y sont consacrées, traduisant le goût des Morozov pour ce genre pictural. On peut y voir une salle de paysages avec les toiles lumineuses de Monet et d’autres artistes impressionnistes français et russes ; une salle consacrée aux paysages fauves ; une salle sur les paysages cézaniens et la célèbre Montagne Sainte-Victoire.

Un éclectisme

Au-delà de la peinture, d’autres médiums sont mis en avant par les Morozov. Leur collection de sculptures traduit l’intérêt d’Ivan Morozov pour le genre du nu, sujet tabou dans la Russie du XIXe siècle. On retrouve des bronzes de Camille Claudel, d’Auguste Rodin, d’Aristide Maillol ou encore des statues de Sergueï Konenkov, surnommé à Moscou « le Rodin russe ».

Paul Gauguin, Matamoe, 1892

Enfin, c’est dans la dernière salle consacrée à L’Histoire de Psyché (1908) que Maurice Denis nous fait voyager dans le temps. L’artiste procède à un retour à l’antique avec son sujet tiré des Métamorphoses, mais il le modernise et l’adapte à son style avec cette palette rose pastel. L’agencement de cette dernière salle nous plonge dans l’ambiance et le contexte d’exposition initiale de cette série de peintures : le Salon de musique, avec son décor et son mobilier, et les sept panneaux imposants de Denis. Métaphore de la quête de beauté et de connaissance d’Ivan Morozov, cette salle termine le parcours de l’exposition, parcours thématique qui retrace le goût des collectionneurs.

La thématique de la couleur, du voyage et de la nature est prédominante. Les trois thèmes se confondent, se répondent et se font écho tout au long du parcours. La fondation Louis Vuitton propose une fois de plus une exposition complète, très dense, qui s’étend sur plusieurs étages. A travers plus de 200 œuvres, cette exposition permettra de montrer les goûts et la personnalité de ces collectionneurs influents. Les visiteurs pourront découvrir des artistes russes qui nous sont inconnus et admirer des chefs-d’œuvre qui ne sont pas visibles en France et qui sont pourtant fondateur dans l’histoire de la modernité. Ce long cheminement nous aide à comprendre ce surnom d’« Icônes de l’art moderne ».

Un article de Mélusine Pascal