Avec un second métrage à la mise en scène maîtrisée, sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs, Anita Rocha da Silveira propose une fantasmagorie noire et enthousiasmante. Medusa explore un monde malade aux frontières de la dystopie, où les jeunes femmes trop belles ou trop libres sont punies, comme Méduse en son temps.

Peut-être que la vraie horreur, c’est ça : une bande de filles qui sillonne son quartier à la recherche de traîtresses « impures » pour les frapper jusqu’à l’expurgation. C’est du moins ce que semble nous suggérer la cinéaste brésilienne Anita Rocha da Silveira. Ou alors, nous souffle-t-elle, l’horreur se trouve dans la vision de ces armadas d’hommes sous stéroïdes qui veillent religieusement sur les mœurs du quartier.

Au centre de l’histoire se trouve Mariana, surnommée chrétiennement Mari, une jeune femme rangée qui participe scrupuleusement à tous les rites de la communauté, de la chasse des impies aux chants d’Église. Mais le jour où, durant une des rondes de la phalange, une femme se rebelle et lui coupe le visage, tout bascule. Le déchirement de sa peau est celui de la toile du réel. Licenciée de son travail dans un centre de chirurgie esthétique, elle se retrouve à devoir travailler dans un hôpital où on s’occupe des vivants déjà morts, c’est-à-dire des comateux. C’est donc le début d’un long engrenage, d’un dérèglement qui mettra au jour tout ce qui se cache sous ces images de jeunes femmes au fond de teint impeccable et aux ongles bien vernis. Les cheveux de Mari sont de moins en moins lisses, son visage de plus en plus éraflé et sa liberté de plus en plus conquise.

Dans cette sorte de coming of age baigné d’une mythologie chrétienne et grecque, qui emprunte au film de genre et au fantastique, Anita Rocha da Silveira dresse un portrait glaçant d’une jeunesse sclérosée par des mœurs intégristes et patriarcales. Parce que c’est peut-être cela l’horreur suprême de Medusa : cette binarité masculine-féminine poussée à l’excès, encadré par une structure religieuse, qui détruit les corps et les vies de ces jeunes femmes.

Au bal masqué

C’est donc dans une clinique pour comateux – l’espace de l’entre-deux par excellence puisqu’il abrite des gens entre la mort et la vie – que les convictions et la réalité de Mariana commencent à vaciller. Le film est sous-tendu par un aller-retour permanent entre des pôles contraires. Il semble toujours sur le point de radicalement basculer, tout comme son héroïne, Mari. Ainsi, le fantastique ou l’horreur ne sont jamais loin, comme en témoigne d’ailleurs une bande-son saturée qui n’a rien à envier à celles des films de Dario Argento. Cette maîtrise de la mise en scène en fait un objet cinématographique prenant et haletant.

Comme chez Bertrand Bonello (Nocturama ou L’Apolonide), les personnages avancent sous un masque blanc gommant leurs traits et leurs émotions. Mais si chez le réalisateur français, ce sont ceux qui peinent à s’insérer dans la norme qui le portent, ce sont ici celles qui incarnent la norme qui adoptent dans un premier temps ce subterfuge. La première scène du film est à ce titre significative : les vengeresses chrétiennes ôtent leurs masques et galvanisées par leurs réussites, parcourent les rues vides de la ville, un sourire aux lèvres. La réalisatrice filme ses protagonistes comme des justicières, distillant le malaise, filmant le visage tuméfié de la jeune femme soi-disant impie.

La réalisatrice filme ses protagonistes comme des justicières

Mais cette première apparition connaît différents contrepoints et le groupe semble, au fil des interventions de moins en moins réussies, de plus en plus désuni. Et leurs masques changent de signification. Ces ovales lisses et blancs sont remplacés par des têtes d’animaux, qui plongent le film dans une ambiance onirique, voire cauchemardesque. Ces accessoires qui renvoyaient à la monstration de la loi viennent cacher les visages de ceux et celles qui ne la respectent pas, lors d’une rave dans laquelle Mari se trouve. Dans cette scène nodale, les hommes et les femmes se laissent aller à leurs désirs sur une musique entraînante, se transformant ainsi véritablement en bêtes. Anita Rocha da Silveira filme avec beaucoup d’intérêt ces corps dansants, aux mouvements libres, chargés de désir, qui tranchent avec ceux de la brigade masculine chrétienne, à la chorégraphie militaire effrayante.

Le cri des femmes

La danse est toujours ici le synonyme de la libération. Il s’agit du moment où les personnages se reconnectent à leurs corps et à leurs sensations, jusque-là réprimées. Nul hasard d’ailleurs si le tout premier plan montre une jeune femme dansant sous les néons roses, pliée en deux, comme une véritable méduse. C’est d’ailleurs sa chorégraphie qui la perdra. Parce que c’est le corps de ces femmes qui est au cœur des enjeux de Medusa, ce corps désirant, vivant et que l’on tente de contrôler par des coups, une surveillance mutuelle et des injonctions à la beauté – la meilleure amie de Mari alimente ainsi sa chaîne Youtube de vidéos enseignant aux femmes pieuses comment se maquiller « correctement » ou comment faire des selfies « pour la gloire de Dieu ». Ce travail sur la corporalité passe aussi par la mise en scène du cri. Cette forme d’expression primitive renvoie à la fois à un imaginaire de la possession, qui sera travaillé durant tout le film – chaque femme qui tente de se libérer est qualifiée par le pasteur de possédée – et à la rage que nos héroïnes tentent en vain d’étouffer. Mais le cri, c’est aussi celui que l’on pousse à la naissance. Ces hurlements, que l’on entend dans Medusa d’abord ponctuellement, et puis de plus en plus régulièrement, marquent pour ces jeunes femmes la possibilité d’une renaissance.