Louise Chennevière
Louise Chennevière.
©Pierre Poligone

Dans le quatrième épisode de son podcast « Je tiens absolument à cette virgule » (que vous pouvez aussi retrouver sur la plupart des plates-formes de diffusion), Hervé Weil a reçu Louise Chennevière. Nous avions déjà eu l’occasion de la rencontrer pour notre chaîne YouTube et ce nouvel échange vient prolonger la réflexion entamée sur l’activité d’écrivain. Dans cet entretien, elle revient sur sa pratique de l’écriture et sur la façon dont elle a lutté avec les mots.

Quand avez-vous commencer à écrire des textes littéraires ?

C’est très difficile pour moi de le dire, je n’en ai pas gardé de souvenir précis. Je me souviens d’avoir toujours écrit, depuis que je suis une jeune adolescente. Je ne sais pas exactement quand ça a commencé mais en tout cas, je remplis des carnets depuis toujours. En revanche, je me souviens très bien de ma première expérience de fiction. Elle a été imposée par une professeure, c’était en troisième et c’était une scène de rencontre amoureuse. C’est la première fois que je me souviens avoir vraiment manié la fiction en me disant que j’allais jouer avec la réécriture de scènes amoureuses . C’est drôle parce que vingt ans plus tard, j’écris Mausolée, mais ça me travaillait depuis ce moment-là.

Écrivez-vous un premier jet d’ensemble de ce qui va devenir un roman ?

L’expérience pour les deux livres a été très différente à chaque fois, donc je n’ai pas exactement de réponse à cette question. Il se trouve que pour Mausolée, donc le dernier, j’ai passé deux ans et demi à réécrire, réécrire, réécrire pour finalement revenir à ce qui était au départ la première intention, le premier jet. J’ai eu besoin de fouiller et de me lancer assez loin dans différentes choses pour revenir au premier jet, mais chargée de deux ans et demi de travail. Je pense que cette première intention avez besoin d’être murie, travaillée et traversée de beaucoup d’autres choses. Cependant, cette première intuition est en général quelque chose d’assez juste quand on commence à se lancer dans un nouvel écrit. Une première impulsion que parfois on peut perdre dans le travail, en se posant trop de questions sur comment faire, que dire, que construire…toutes ces questions qui font qu’on perd une forme de puissance du texte, une sorte de sauvagerie première. Donc je pense qu’il faut trouver le bon équilibre entre le premier geste, la première intention et en même temps, un retour critique sur soi.

Quelles sont les manies d’écriture contre lesquelles vous essayez de lutter ?

Je crois que j’essaie de lutter contre la manie d’écrire. Parce que j’ai très peur de devenir une professionnelle de l’écriture

Je crois que j’essaie de lutter contre la manie d’écrire. Parce que j’ai très peur de devenir une professionnelle de l’écriture . Je vois souvent des écrivains qui finissent par devenir des  caricatures d’eux-mêmes en répétant une fois tous les deux ans le même geste. Or je crois que s’enfermer dans une manie ou dans une répétition d’un même geste, serait terrible. Ce serait se caricaturer soi-même, caricaturer à la fois son style et son rapport au monde. Pour ma part, je crois que l’écriture pendant longtemps m’a portée, a été un moyen de me rapporter au réel. Aujourd’hui, en revanche, j’essaye de prendre une distance avec ce rapport un peu dévorateur au réel, de devoir écrire tout le temps ; si bien qu’en ce moment je n’écris pas. Il y a plein de livres que je pourrais écrire mais aucune nécessité ne s’impose à moi et je n’ai pas envie de rentrer dans ce truc de : “je vais continuer et je vais encore écrire un petit livre”. Je pense que je me protège un peu de ça pour l’instant et j’espère que je ne rentrerai jamais dans cette manie

En y réfléchissant, je crois donc que c’est contre une posture un peu professionnelle de l’écriture et même une habitude de l’écriture que je construis mon rapport à l’écriture, avec cette nécessité de rester surprise. En tout cas l’expérience d’écriture des deux livres a été très différente et j’espère que l’écriture du troisième sera aussi très différente. Je pense que c’est logique qu’un texte différent vienne d’un endroit différent, impose une langue différente, naisse d’un rapport différent au monde. Mausolée je l’ai écrit en trois mois en hiver d’un seul coup sans m’arrêter et ce n’est pas une manière d’écrire que j’ai envie de répéter. J’espère donc que la façon dont j’écrirais mon prochain texte sera différente, peut-être que cela me prendra dix ans.

Mausolée, vous vous y être repris plusieurs fois, quelles ont été les différentes tentatives d’écriture ? Ce sont d’abord plusieurs tentatives sur lesquelles vous être revenue et après c’est venue d’un seul coup ?

Exactement ! Pendant deux ans et demi j’en je me suis cognée la tête contre les murs.  J’ai commencé, recommencé,  et un jour de l’hiver dernier, j’ai rangé toutes mes notes, toutes mes tentatives préparatoires et je suis repartie à zéro. Et là je l’ai écrit en trois mois. J’ai tout oublié et en même temps, il y a des phrases qui sont restées, qui ont traversé quasiment toutes les versions. Par exemple, il y a des mots comme « mausolée », qui est le titre maintenant, qui sont là depuis le début. Ce mot m’a suivi ; sans que je puisse expliquer pourquoi, sans qu’il y ait de raison. Et c’est assez drôle car c’est le titre le moins sexy qu’on ait pu trouver, le moins vendeur. Mais c’est un mot qui me semble le mot juste, qui a été le mot du texte tout au long de ce travail et c’est un mot qui m’a guidé. D’ailleurs, quand je suis repartie de zéro, c’est par ce mot là, ce même mot, que commençait la première version. Donc, il y a des choses qui sont restées. Il y a aussi des choses que j’aimais bien mais qui ne sont plus dans la version finale parce que j’ai décidé d’élaguer. A la fin, c’est trois ans de travail pour un minuscule livre. C’est comme si je n’avais gardé que ce que je trouvais nécessaire, le précipité chimique de tout ce travail-là.

Et comment les mots initiaux, anciens, les phrases, qui ont traversé le texte se sont intégrés dans la nouvelle version ? Est-ce que les nouvelles phrases sont venues à côté, sont nées de ces phrases ou alors les avez-vous retrouvées, reprises après ce travail de trois mois?

Non c’est venu d’une traite : j’ai écrit, je n’ai plus réfléchi. Je n’ai rien été chercher, mais j’ai vu qu’il y a eu des choses qui étaient là et qui sont restées. C’était vraiment un texte fait de diverses couches. Il y a des phrases qui ont traversé le temps et qui sont restées à l’intérieur de moi. En fait, c’est un texte que je savais presque par cœur. Car il y avait des choses qui étaient là comme une litanie que j’avais en tête et que je ne pouvais pas m’enlever. Donc il y a des images qui sont restées. Mais quand j’ai repris l’écriture, il n’était plus question de réfléchir sur ce que je devais conserver. Maintenant, il y a aussi des choses que je regrette d’avoir enlevé. Mais si ce n’est pas là, c’est que ce n’était sans doute pas nécessaire au texte.

Est-ce que ce geste de lecture est conditionné par un sujet ou du moins influencé par un sujet ou est-ce la recherche d’un style personnel qui transcende ces sujets ?

Ma réécriture du grand roman d’amour appelait une forme toute petite, toute précaire,

Un style qui m’est propre j’espère, parce qu’un auteur c’est d’abord une écriture qu’on reconnait tout de suite . Quand vous ouvrez Duras par exemple, c’est tout de suite elle, encore, à nouveau, chaque fois… et on la reconnait immédiatement. Cependant, mes deux livres sont très différents. J’espère que le troisième sera aussi très différent Et surtout je ne m’interdis rien. En ce moment, par exemple, j’écris des chansons, je n’écris plus que ça. C’est une dimension plus proche de la poésie parce qu’en ce moment c’est là que je suis, ça se manifeste comme ça. Mais peut être qu’un jour un sujet appellera un bouquin de 1500 pages, quoique je ne le pense pas.

Au fond, chaque sujet appelle sa forme et finalement ma réécriture du grand roman d’amour appelait une forme toute petite, toute précaire, toute mince et ça ne pouvait pas en être autrement. Puisque finalement ce livre est une remise en question totale du grand roman d’amour et même plus : ce n’est pas un roman d’amour, c’est une lettre d’amour. Le sujet l’a appelé dans cette forme-là, sans que j’en ai conscience, en amont, puisque j’aurais aimé, comme je le dis dans le livre, écrire un grand, vrai roman d’amour, avec tout ce qu’on imagine de péripéties, de rebondissements… mais en fait non, c’est une lettre d’amour toute petite, toute précaire.

Bibliographie :

Chennevière, Louise, Mausolée, P.O.L, 2021.

Propos recueillis par Hervé Weil et retranscrits par Lucien Levavasseur