Aux fossoyeurs d’Hollywood comme aux amiraux excédés qui cherchent à le clouer au sol, Tom Cruise, dans un demi-sourire, répond : « Pas aujourd’hui ». Trente-six ans après, Maverick a certes pris quelques rides, mais il n’a rien perdu de sa superbe. Le second volet ne tombe ni dans le piège du pastiche ni dans celui du tombeau. Au contraire, Joseph Kosinski réussit la mise en scène d’une double confrontation : celle de Tom Cruise au mythe Maverick et celle de Maverick au mythe Tom Cruise, allant jusqu’à fondre le destin du personnage et de l’interprète en un étonnant portrait d’éternel adolescent qui doit apprendre à mourir.

Il y avait lieu de se poser la question de la légitimité d’une nouvelle version d’un film de campus très marqué par le patriotisme reaganien et qui était plutôt destiné à un jeune public. Tom Cruise n’a certes plus la vitalité de ses vingt ans, mais il se défend très bien et ironise sans cesse à propos de son enterrement trop précoce. Par ailleurs, Top Gun première mouture offrait peu de perspectives de prolongement dramatique puisque Pete, à vingt-quatre ans seulement, n’avait déjà plus rien à prouver.

Un apprentissage sans enseignement

C’était sans compter sur une très bonne idée d’écriture, consistant à donner à l’intrigue de cette seconde édition l’allure d’une mission impossible dans laquelle Cruise ne sera pas tout à fait le héros – contrairement à ce que laisse supposer le titre du film – mais un simple instructeur qui s’apprête à prendre une retraite anticipée. En effet, les jeunes recrues en formation à North Island doivent mener une opération à haut risque dans des canyons enneigés, afin de détruire un site d’enrichissement d’uranium que construit une « rogue nation » – entendre l’Iran. Appelé par Iceman, son rival d’autrefois, Tom Cruise a pour tâche de transformer de bons élèves en pilotes virtuoses. Le film s’ouvre sur un morceau de bravoure parfaitement adapté aux qualités qu’on reconnaissait à Maverick, une intuition très sûre et une confiance en soi à toute épreuve. Cruise désobéit aux ordres comme à son habitude, grimpe dans son petit avion tout neuf qu’il lance à très vive allure dans un ciel bleu layette et défie ainsi les lois physiques. Pourtant, lorsqu’il est de retour au bercail et erre dans les lieux de sa jeunesse, Maverick n’est plus personne. Un parasite arrogant, un petit capitaine de seconde zone, un professeur sans autorité.

Jamais le vol n’a été aussi lyrique

Cette contradiction à la fois morale et psychologique est rendue manifeste par un effet de rupture entre une introduction jouissive et tonitruante et le lent délitement du mythe, qui commence en Californie. À cet égard, la séquence d’une rencontre qui n’aura finalement pas lieu entre Maverick et ses élèves dans le bar tenu par Penny (une ancienne conquête incarnée par Jennifer Connelly) est redoutable de cruauté. Cruise apparaît comme un vieux loup fatigué tandis que les jeunes pilotes allègres pérorent et chahutent. Mav a toujours été incapable de suivre les règles. Il sera impuissant à les enseigner – et ce n’est d’ailleurs pas ce qu’il entreprend de faire : son rôle d’instructeur lui sied si mal qu’à l’enseignement des règles, il tente de substituer l’apprentissage de l’audace et de la désobéissance. C’est à un exemple souvent dénué d’exemplarité que Cruise recourt pour faire comprendre aux jeunes pilotes comment voler. La tête à l’envers, reprenant quelques superbes pirouettes du premier film, il dessine des figures tournoyantes dans les airs, maîtrise un décollage à la verticale et des jeux de slalom. Délié des attaches terrestres, il caracole en liberté dans un espace ludique transformé en champ d’expression illimité. Jamais le vol n’a été aussi lyrique.

Les scènes d’entraînements conduits par Maverick, qui pourchasse les apprentis, donnent ainsi lieu à un superbe ballet. Bien sûr, il y en avait déjà dans le premier volet. Et c’est l’une des raisons de l’engouement qu’a suscité le film à sa sortie et du pouvoir de fascination qu’il continue d’exercer. Les scènes aériennes sont ici plus nombreuses, plus longues et plus spectaculaires, indépendamment de l’usage très réussi des images de synthèse. Nous assistions déjà en 1986 aux petits jeux de cache-cache entre les imposants F-14 d’alors. Kosinski enrichit brillamment ce plaisir puisqu’il conçoit de vraies scènes de suspense. La mission impossible à laquelle se livrent les nouveaux pilotes met les corps à l’épreuve, comme s’il s’agissait de rendre l’expérience du vol plus palpable. Les visages déformés par l’accélération, la menace de l’évanouissement, ou encore les mains crispées sont autant de signes tangibles des limites physiques avec lesquelles Maverick ne cesse de flirter.

Memento mori

On refuse donc à Maverick le rôle d’instructeur, de modèle et de père

L’autre grand conflit moral qui structure le film relève d’une filiation contrariée. Parmi les jeunes recrues se trouve Rooster, le fils de Goose, l’ancien acolyte de Maverick, mort dans ses bras dans le premier opus. Rooster, au même titre que ses camarades d’ailleurs, rejette l’autorité de l’instructeur et refuse du même coup d’être considéré comme l’héritier de ce père de substitution. Autrement dit, Maverick ne trouve pas en Rooster un successeur auquel léguer son héritage, pas même après avoir écarté Hangman, un autre pilote talentueux, mais arrogant et désobéissant, traits de caractère laissant initialement supposer qu’il aurait pu marcher dans ses pas. On refuse donc à Maverick le rôle d’instructeur, de modèle et de père. Cruise est piégé dans une gloire passée qui n’impressionne plus personne et qui n’inspire aucun désir d’imitation. Des prises de bec incessantes entre Rooster et le maître honni naît donc un malaise profond. À terre, Maverick est toujours davantage marginalisé et privé de son charisme. Il se cantonne alors au modèle d’une vie conjugale un peu terne avec Penny, entre deux réparations d’avion auxquelles il s’attèle au fond d’un garage, où il chérit ses souvenirs. Paradoxalement, la pente que doit suivre Maverick, comme le lui suggère Iceman, est celle d’un abandon. « Let it go » lui suggère son vieil ami à propos de sa relation tumultueuse avec Rooster et de son inquiétude concernant le niveau d’impréparation de ses troupes alors que la mission approche.

Or, c’est précisément le conseil que Tom Cruise ne parviendra jamais à suivre. Par abandon, il entendra sacrifice, c’est-à-dire une dernière action héroïque qui lui sera in fine refusée. Cruise craint d’essuyer un nouvel échec et échoue donc immanquablement. Il s’agit sans nul doute d’un film crépusculaire, teinté d’une mélancolie sourde, contrebalancée par de savoureux dialogues qui jouent pour la plupart sur la réputation du vieux beau. Kosinski s’amuse autant des effets de miroirs que des éléments kitsch, comme dans cette scène de plage clipesque, plongée dans une lumière dorée de fin d’après-midi, au cours de laquelle les jeunes pilotes torse nu improvisent une partie de foot US, sous le regard protecteur de Tom Cruise qui y voit l’opportunité de porter sa paire d’Aviators.

Il est frappant de constater à quel point le plaisir pris à la suite d’un film adoré tient autant au fait de retrouver ce que nous aimions qu’à prendre conscience de ce qui a changé. Autrement dit, de ce que nous avons perdu. En cela, Kosinski et son interprète prolongent la réflexion que mènent les productions hollywoodiennes depuis quelques années. Elle porte sur les mythes forgés par le classicisme, démolis par le Nouvel Hollywood puis revitalisés, au risque de la caricature, par les blockbusters des années 1980. Tom Cruise finit par accepter, non sans amertume, qu’il n’a plus l’étoffe du héros qu’était Maverick. Et cette fois, il ne sera pas question de résurrection.

  • Top Gun : Maverick, un film de Joseph Kosinski avec Tom Cruise, Jennifer Connelly et Val Kilmer, en salles le 25 mai 2022.