Les éditions José Corti célèbrent cette année une décennie d’engagement, avec la collection Biophilia, pour la (re)considération du vivant sous toutes les formes et à travers tous les prismes. La Maison au bout du monde d’Henry Beston en est la dernière parution. Publiée originellement en 1928, elle fait le récit d’une année vécue en solitaire sur les plages de Cape Cod, presqu’île de la côte est des États-Unis, non loin de Boston, comme Henry David Thoreau avant lui.

Cette littérature naturaliste – au sens que lui donne le transcendantalisme américain – a contribué à la création du Cape Cod National Seashore visant à la préservation de la faune et de la flore du désormais parc national. Voilà ce que peut aussi la littérature, et l’on ne manquera pas de s’en réjouir. La Maison au bout du monde d’Henry Beston

L’émotion esthétique pour habiter le monde

Le fait de se rendre sujet aux sensations du monde extérieur sans les intérioriser outre mesure réduit la distance entre tous les vivants

L’émotion esthétique est au coeur du récit, lequel est proche du carnet de voyage, car on saisit le sel d’une vie, qui prend toute sa puissance dans son origine qu’est la nature, c’est-à-dire la beauté. L’homme n’est qu’un élément parmi d’autres : ce premier geste d’humilité – qu’il faut, hélas, appeler ainsi – apparaît de prime abord dans la contemplation. Le fait de se rendre sujet aux sensations du monde extérieur sans les intérioriser outre mesure réduit la distance entre tous les vivants, chacun jouit de ses capacités biologiques. Alors l’homme s’adonne à tous ses sens ; c’est immédiat, il respire l’air ambiant, mieux : il sent les embruns plus ou moins chargés d’humidité et s’en sert pour se repérer. Il y a chez l’écrivain l’envie de réhabiliter l’odorat ; il le porte comme un doux combat contre le trop facile ravissement de la vue.

Henry Beston veut, de fait, habiter le monde, les dunes de Cape Cod qu’il fait siennes en l’occurrence, alors il observe, toujours patient, et trouve son bonheur dans la quotidienneté. La joie d’être terrestre est totale, et harmonique, puisqu’elle le prend tout entier et l’englobe dans un fourmillement d’êtres – sentiment de la Création.

La connaissance de son environnement direct est la condition nécessaire à l’émerveillement perpétuel ; l’écrivain apprivoise la terre, en tant qu’elle se trouve entre ciel et mer, autant qu’il est apprivoisé par la Terre, sans qu’elle lui soit hostile ; « Il régnait un froid sans âpreté dans ce monde océanique, une brise légère soufflait doucement de l’ouest, frôlant la terre par petites bouffées incertaines », telle est la finesse des ressentis physiques qui deviennent aussi vite intelligents.

L’aventure ou l’évènement chez Beston correspond, chaque fois, à la reconnaissance des phénomènes naturels recouvrés par la curiosité. La région se change en terrain de jeu, en un champ d’apprentissage ou en un observatoire ; elle est mouvante au rythme des saisons et l’écrivain ajuste sa place en fonction : sa chambre change de pièce selon l’ensoleillement, ses pas sur la plage sont plus agiles en période de nidation, etc.

Une prose poétique

Les images sont novatrices et les détails exacerbés. Certains passages, isolés, ressemblent à de véritables poèmes.

Bien sûr l’exotisme des noms d’oiseaux (assortis de la traduction latine) concourt à nous révéler un langage inconnu pour la plupart, comme en témoigne l’index. Attardons-nous toutefois sur les sonorités, on croirait à un prosimètre. Les images sont novatrices et les détails exacerbés. Certains passages, isolés, ressemblent à de véritables poèmes, lisons :

«  Par ces nuits de septembre, délicieuses et fraîches, la lumière poudreuse, unie et silencieuse, qui remplit le ciel, est aussi automnale dans sa coloration que la terre au-dessous »

Ou encore :

«  Superbes oiseaux blancs dans les hauteurs bleues d’octobre, dominant la solennelle agitation de l’Océan. Leur passage était plus qu’une musique ; leurs ailes évoquaient l’antique beauté de la terre qui fortifie et qui apaise »

La force qui émerge de l’écriture de Beston ne trouve guère sa source au sein d’une solitude douloureuse ou cathartique ; cette solitude demeure relativement absente du texte, Beston rencontre un garde-côtes par hasard et ne nous parle pas d’un isolement précaire ni d’aucune aversion pour le genre humain, mais d’une simple chaleur agréable lorsqu’elle advient ; sa compagnie est ailleurs.

Le lyrisme de La maison au bout du monde se constitue dans le resserrement des liens qu’il noue en s’adressant souvent au lecteur pour rendre les mystères de la Nature proprement séduisants et universels, non seulement ces mystères transcendent les siècles mais en plus, l’auteur recrée une communauté autour de sa personnalité contemplative.

Henry Beston présente ici la plus belle défense écologique : plutôt que d’observer strictement le genre de la « nature writing » et ses maîtres, centrés sur l’expérience individuelle, Beston dit « La Nature, voilà mon pays » et nous donne le désir de s’y confondre également, sans s’y complaire tout à fait.

Bibliographie :

Beston, Henry, La Maison au bout du monde, édition José Corti, collection Biophilia, 2022.