(c) Ryo Hikosaka

Des mains aux veines saillantes teintées de couleur suie, un sourire à la fois juvénile et pudique, un parler délicat et un regard rêveur… Ryo Hikosaka sublime ses œuvres à la patine dans son atelier au Nord de Paris. Originaire du Japon, il rejoint les Beaux Arts de Tokyo où il travaille le métal puis s’installe à Paris pour suivre les cours de la prestigieuse École Boulle. Parisien depuis maintenant plus de dix ans, Ryo Hikosaka se lance cette année en tant qu’artiste indépendant après avoir été spécialiste des patines au sein de l’atelier Steaven Richard.

Marion Bauer : De Tokyo à Paris, vous avez acquis nombre de techniques pour travailler le métal, dont la patine, le ciselage et d’autres plus spécifiques comme la technique ancestrale japonaise du mokume-gane. Êtes-vous un artisan avant d’être un artiste ? Amelia Pavia s’était précédemment penchée sur cette question avec son article “Art et Artisanat – flou artistique ?”

Ryo Hikosaka : Je ne me suis jamais défini comme un artisan, mais il est vrai qu’un grand nombre des techniques que je mobilise relèvent en effet de l’artisanat. À mon sens, la technique peut aisément être rapprochée du langage en ce que tous deux amènent notre pensée à prendre forme. Au-delà de leurs courbes, de leur tonalité et de leur matérialité, mes œuvres existent de par leur essence artistique et de la vie que je leur insuffle. Ma patine est l’expression intuitive de mon âme et la plaque de métal en est le médium artistique. J’ai développé des techniques spécifiques et originales me permettant de travailler des patines à la manière d’un peintre. La singularité de mon œuvre réside donc dans cet équilibre entre les techniques classiques des beaux-arts et ma propre sensibilité japonaise.

Ma patine est l’expression intuitive de mon âme et la plaque de métal en est le médium artistique. La singularité de mon œuvre réside donc dans cet équilibre entre les techniques classiques des beaux-arts et ma propre sensibilité japonaise.

Vous réalisez beaucoup d’œuvres abstraites que vous mettez en valeur sur votre compte Instagram, principalement des patines monochromes sur métal à partir desquelles vous réalisez des effets de drapés ou de “griffés” à la façon d’Hans Hartung.

Comme tout artiste, j’ai cherché à développer mon propre style. Depuis quelques années, je travaille mes sculptures avec du métal martelé en vue de créer des effets de drapés. C’est lors du martelage que des plis se forment sur la surface. Je pourrais les dissimuler afin d’obtenir un rendu lisse mais je préfère volontairement les conserver. L’œuvre n’en devient que plus complexe et les spectateurs sont amenés à s’imaginer ce qui se dissimule au travers de cet intrigant voile de métal. J’imprime le mouvement et la vie sur la plaque vierge métallique tout comme les jalons de notre existence s’impriment sur la cire virginale de notre âme.

L’espoir (2015), hammered copper sheet. brass sheet, gold leaf,patina

Vous n’en avez pas moins conçu des œuvres figuratives. De celles-ci se dégage quelque chose de mystique voire de fantastique. Qu’est-ce qui vous a amené à cultiver ce goût pour l’onirisme ?

La plupart de mes œuvres sont pétries de contradictions. Je veux souligner le caractère éphémère de la vie tout en levant le voile sur la dualité entre la création et la destruction, l’opacité et la transparence, la surface et la profondeur… Mes œuvres figuratives comportent en ce sens une part d’abstraction elles aussi. La réalité tangible et l’illusion de la surface coexistent. J’allie en ce sens une maîtrise minutieuse de la ciselure à des élans instinctifs, d’où cet onirisme latent.

On pourrait dire de votre sensibilité qu’elle est féminine. Vos œuvres sont le plus souvent aériennes et les femmes que vous sculptez sont comme évanescentes et métamorphosées.

Effectivement, cette impression s’explique par mon usage de la technique de la dinanderie et du repoussage qui consiste à mettre en forme une feuille de métal dont l’épaisseur varie de 1 à 1,2 millimètres. Cette finesse et cette fragilité apparentes m’évoquent la peau humaine en tant que passerelle entre l’intimité du corps et le monde extérieur. Dans certaines de mes sculptures et particulièrement dans celles représentant des femmes, l’abstraction se mêle à la figuration. L’évanescence de la beauté féminine rejoint le caractère éphémère de la vie humaine. J’aime poser des mots sur cette métamorphose par le biais de l’abstraction.

Ryo Hikosaka

Maintenant que vous avez choisi de vous lancer en tant qu’artiste indépendant, quelles perspectives artistiques et professionnelles prévoyez-vous d’explorer dans les années à venir ?

Je continuerai d’associer mon savoir-faire à ma sensibilité artistique en vue d’explorer les possibles offerts par la matière, notamment en alliant la technique traditionnelle aux technologies innovantes. J’œuvre parallèlement à la création d’une ligne de mobilier artistique qui porterait mon nom. Mes sculptures et mes esquisses de mobilier se font mutuellement écho en de nombreux points. Là encore, ce projet de ligne de mobilier approfondit le questionnement sur l’éphémère en mettant en lumière l’essence illusoire et inconstante de la perception.

https://www.ryohikosaka.com/