Simon Hantaï dans son studio de Maisons-Alfort, en 1981. – © EDOUARD BOUBAT / GAMMA RAPHO

Simon Hantaï est sans doute un des peintres que je connais le plus et un de ceux que je connais le moins. Sa technique est reconnaissable immédiatement ainsi que ses couleurs. Pourtant, il reste un artiste dont le travail, qui a tout de même marqué le XXe siècle, est assez méconnu. Ainsi, la Fondation Vuitton nous offre une magnifique rétrospective de ses œuvres entre 1960 et 2004, neuf ans après la grande exposition au Centre Pompidou. Partons ainsi à la redécouverte de cette figure magistrale de l’abstraction.

Le plus français des Hongrois.

Simon Hantaï naît en 1922 à Biatorbagy en Hongrie et arrive à Paris assez rapidement en 1948 avec son épouse Zsuzsa Biro. Destiné à des études d’ingénieur, le jeune Hantaï, peut-être un peu rebelle, s’inscrit aux Beaux-Arts de Budapest. Il s’essaie, il tâtonne, il s’engage politiquement contre les Allemands avec son art et l’on sent déjà une certaine fureur dans le geste et une envie de liberté. Si ses œuvres sont figuratives, Hantaï cherche moins à représenter le sujet qu’à le mettre en valeur par des couleurs vives et des fonds très marqués à la manière des nabis par exemple.

Sa découverte de Paris fut celle aussi des grands maîtres qu’il découvre au rythme de ses flâneries et des artistes contemporains dans les galeries d’art parisiennes. C’est ainsi qu’il admire les papiers découpés de Matisse, mais aussi les surréalistes avec Max Ernst, Picasso ou encore Dubuffet. Dès lors, naît une période d’expérimentation du support et de son matériel de peinture. Il intègre le groupe surréaliste pendant trois ans, de 1952 à 1955, puis s’en détache après avoir été témoin d’un groupe sclérosé et inane face aux changements.

Simon Hantaï, L’Ecriture rose, 329,5 x 424,5 cm, 1958-1959

Viennent ensuite deux périodes avant celle des pliages et que s’attache à montrer la Fondation Louis Vuitton en prologue. Ces œuvres sont la recherche d’une méthode, d’enjeux poïétiques qui donneront naissance à ce que nous connaissons. Ainsi est présentée l’œuvre magistrale et monumentale L’Écriture rose, conçue en 365 jours. Hantaï a superposé différents textes du missel et d’autres textes mystiques en utilisant de l’encre de différentes couleurs ; mais la superposition de ces couleurs rend la toile rose. On sent alors le début d’une ère qui constituera l’identité Hantaï : une période abstraite, un fond et une forme qui se confondent, des formats immenses, des gestes saccadés, voire fracturés et une impression de grandeur à mesure que l’on s’éloigne de la toile.

Détail Mariale, 1962

Plié – Déplié

L’exposition couvre six galeries de la Fondation Vuitton pour quatorze mouvements qui montrent 150 travaux du maître d’une manière qui ne rend pas véritablement honneur aux toiles dont certaines sont exposées dans un long couloir qui ne permet pas une bonne appréciation des œuvres. En ce sens, la rétrospective est salutaire pour mieux faire connaître l’œuvre de Hantaï mais manque de clairvoyance quant à l’accrochage des différentes pièces.

Néanmoins, l’exposition retrace avec merveille les différentes périodes du peintre et ainsi tout le processus de recherche quant à ses pliages si célèbres. C’est en 1950 que Simon Hantaï exécute ses premiers pliages en froissant et pliant une toile qu’il place au centre d’un de ses tableaux. Dès lors Hantaï comprend l’importance du support qui devient lui-même matière picturale et symbolique.

En 1960, Hantaï réalise une série de peintures polychromes intitulée Mariales qui explore une nouvelle méthode. Au lieu de badigeonner la toile au préalable, la toile est partiellement brossée puis pliée avant de recevoir la peinture bord-à-bord. Une importance au fond blanc est alors donnée permettant à la couleur de la peinture de s’exprimer de façon beaucoup plus éclatante.

La série des Catamurons est aussi différente et couvre la période 1963-1965. Les peintures laissent apparaître une large marge blanche grâce à une méthode de pliage et de dépliage très dense qui joue sur le verso et le recto de la toile. Chaque pièce présente un jeu de couleurs claires et de couleurs sombres comme le positif et le négatif d’une photographie.

En somme, l’exposition rétrospective est une exploration de la méthode de Hantaï. Le visiteur sent alors l’obsession mais aussi la passion du peintre à toujours innover, à toujours varier sur le thème. Ce pourrait être du Bach ou du Chopin.

Meun, 1967.

Variations chromatiques

Des débuts de Hantaï jusqu’à ses dernières créations, une évolution de la couleur est manifeste. L’art du pliage de Hantaï crée des éclats de couleur, fragments éparses qui font écho à l’œuvre de Jackson Pollock, ce génie de l’expressionnisme abstrait. Le visiteur pourrait avoir l’impression d’un chaos émanent des pliages de Simon Hantaï et pourtant c’est une véritable harmonie chromatique qui s’en dégage. Nous pensons ainsi à l’une des dernières salles qui témoigne de la recherche d’un équilibre à partir du chaos. Le visiteur a surtout en tête les monochromes des Etudes et de Meuns, mais il a moins à l’esprit la série Panse qui associe le bleu, le noir et le blanc, laissant par endroit la toile brute apparaître comme si celle-ci était aussi sujet du tableau, matière picturale.

Le chaos n’est cependant pas le maître mot des toiles de Hantaï. Tabula présente, par exemple, une régularité du motif et des couleurs grâce à un pliage savamment pensé pour que chaque carré de couleur soit espacé identiquement. Ce qu’il est important d’observer est la texture des toiles, renforcée justement par la couleur qui vient appuyer les reliefs et le pliage.

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L’exposition du centenaire de Simon Hantaï réjouit car elle est l’occasion de redécouvrir une œuvre majestueuse. Elle est une exploration du processus du maître qui s’impose comme un des grands peintres du XXe siècle. On peut voir beaucoup de choses dans les œuvres de Hantaï : origamis, oiseaux envolés, lacérations… L’effet de paréidolie est peut-être ce qui reste de surréalisme chez le peintre.

Simon Hantaï – l’exposition du centenaire à la Fondation Louis Vuitton jusqu’au 29 août 2022.