Publié au printemps aux éditions NOUS et construit comme un véritable horizon de correspondances – a, e, i, o u –, le recueil de Nathalie Koble s’offre à lire d’une pluralité de manières. D’abord linéaire, le texte se déploie ensuite au gré d’associations, comme plusieurs portes d’entrée – fenêtres, toits ou trous de serrures – de cet extérieur vers l’intime. 

Recueil composite et délicat, Extérieur chambres se compose comme un ensemble de 33 chambres où l’auteure nous propose ses élans poétiques en triptyque, une expérience de lecture audacieuse et réussie, qui nous glisse dans les interstices de l’invisible intime, ouvrant notre regard impudique au quotidien fugace de ces scènes singulières.

D’une chambre l’autre

Il ne s’agit pas d’épuiser les images ou les vécus mais bien d’évoquer à l’envi le passage d’une éphémérité des présence.

De ces chambres qui se multiplient dans un rappel cyclique du chiffre trois, il ne s’agit pas d’épuiser les images ou les vécus mais bien d’évoquer à l’envi le passage d’une éphémérité des présences, ce qu’offre à voir la subjectivité de l’œil de la poète. Ainsi,

Chambre 1

Panoramique

« P., moins sportif que son frère, redescend la pente pour trouver un chemin moins abrupt. Il se dit mou. Je le crois secrètement rappelé par l’ennemie intime : l’envie d’être seul »

C’est en même temps l’écriture qui se fait, ce qui s’écrit dans l’espace de l’intimité-chambre ou de la possibilité d’une effusion du poème à venir :

« D. tombe malade : 9 jours. La fièvre lui fait voir des femmes aux cheveux verts et les étoiles pleurer ; ses infirmières se désespèrent. Il décidera de consacrer un texte à ce délire morbide

Il paraissait mort, la vit morte, vision terrifiante et douce : parce qu’elle a habité B., la mort même devient désirable. On est si peu…

Une scène de sacrifice, une sauvagerie apprivoisée »

Plus loin encore, c’est dans la chambre 6 que « M. ne comprend pas ce langage, mais les portes en enfilades s’ouvrent comme des serrures géantes, et l’oeil glisse d’une chambre à l’autre, infiniment curieux et apaisé ». Moins que des personnages, les sujets de Koble sont comme des fantômes d’êtres, des mouvements qui s’opèrent dans les murs où se croiser encore en ignorant tout de ces chambres en soi qui se trament au creux  même de nos émotions. Là, chambre 9

« Et pour toi seulement l’

Instant futur de l’    aiguille qui

Retient son souffle     dans les h-

Orloges de nos grand’-mères

Ou peut-être :

Le choix de la majuscule en début de vers »

Ou peut-être encore ce que ce temps dit de nos êtres qui ne demeurent jamais là, qui déposent de leur fugacité une nostalgie humaine extérieure, la demeurance d’un lieu où avoir été. Sans doute est-ce cela qui nourrit les moments mélancoliques de certains passages du recueil.

La poésie comme évocation

Véritables éclats poétiques, maximes minimales de la parole voyante, des vers nous ravissent et embrasent de leur pouvoir d’évocation, comme dans la Chambre 12 – Rue Pierre Loti : « Coeur dilaté préserve (subj.) les corps et leur mémoire ». Le recueil, au fil des pages, confine de plus à plus à l’exercice formel non comme exercice en soi mais comme expérience d’un tarissement de la parole, de son aliénation lente face à l’incapacité de saturer les impudeurs du regard ; lorsque face au désir de l’absolu sillon du saisissement résiste l’extériorité infranchissable du réel, des murs, des corps.

Chambre 13

« Fini le silence : des voix intérieures se disputent continuellement. Sa vie, naguère si douce, est une chanson de geste. Un théâtre de marionnettes »

Aussi le texte, a posteriori, semble-t-il toujours porter cette fabuleuse tension d’une écriture qui cherche à retourner son objet pour s’en saisir en affirmant par la-même l’incapacité manifeste à la fusion – dans l’écriture –, à faire coïncider.

Chambre 17

« (lui)

– votre bras fermement prisonnier

du mien j’ai maintenant devant moi

un sentier marqué : j’ai le désir

de le suivre       sans interruption »

Un effleurement qui nous rapproche de l’objet sans jamais le soumettre tout à fait à notre voracité insatiable.

L’écriture s’offre ainsi comme une tentative réussie de saisir ce qui échappe et de le muer au sein même de la poésie par le pouvoir de l’évocation avant toute chose : un effleurement qui nous rapproche de l’objet sans jamais le soumettre tout à fait à notre voracité insatiable : le su comme unité demeure écrasé par le vu, ressac du vécu.

« Autre miracle : cette guerre délicieuse, à laquelle ils consentent, comme tous les amants. Il se font des serments – un décalogue : endurance, constance, secret absolu, modestie, et puis, si possible : joie, corps, cadeaux, musique, danse, lecture – un art de l’épuisement »

Car enfin, le sujet lui-même, pris au vol par les scènes de Nathalie Koble, tente la conjuration de son propre réel dans la présence des lieux – au lieu – où il se rencontre.

« Pour seul bagage il porte son petit passé

mais croît à la lumière et exposé au vent

il épouse au hasard des formes dansantes, discrètes

et ne demande qu’une dérive inventive

des yeux »

Parce qu’enfin vient la pluie, comme « le sentiment d’une coïncidence    à venir », comme l’épreuve d’un intemporel intelligible, où tout semble ici se résoudre, dans

« le souffle invisible et immense

du dehors comme indéfini     ment »

Car interminable demeure toujours l’expérience de la poésie – de la vraie poésie – et que Nathalie Koble, par ses saisies et ses évocations clairsème. Elle offre une poésie qui se retourne, portée par l’intempestivité de la vie même, sa fugacité confondue dans la conscience impossible du réel.