Romancier, poète et essayiste, Pierre Le Coz nous fait découvrir la Méditerranée sous un angle poétique et philosophique avec La Chambre et le Temps. Ce dernier ouvrage s’inscrit dans sa trilogie publiée aux éditions indépendantes du Soupirail, comprenant Les Clandestins du jour et le Rêveur définitif. Un chef d’œuvre de vérité et de beauté qui, le temps d’une déambulation dans la ville, magnifie la mouvance des corps, le silence de la lumière et le déclin d’une passion. 

La ville illuminée 

Dans un roman, la tradition veut que les protagonistes soient des êtres faits de sang et de chair. Dans l’œuvre de Pierre Le Coz, qui se rapproche toutefois plus du poème en prose que du roman, la ville et sa rumeur se muent eux aussi en protagonistes. Un pavé, un fleuve, la chambre bleue d’un hôtel … Tous prennent vie sous l’impulsion de l’auteur et s’imposent au lecteur comme des êtres à part entière. D’abord vient la lumière méditerranéenne, renfermant la félicité des étés retrouvés et le secret des illusions perdues. Cette lumière pénètre la ville et les amants qui l’animent. Elle les libère aussi bien qu’elle les entrave : “Bientôt pourtant, lentement mais inexorablement, la jeune lumière avait envahi l’espace, s’accroissant comme une douleur et un excès.”

Pierre Le Coz explore la dualité habitant l’environnement urbain où l’ombre côtoie la lumière, où le silence se mêle au murmure des foules et où l’immobilité succède à l’agitation. Ne faire qu’un avec la ville, marcher jusqu’à la perdition pour mieux se retrouver soi-même … Telles sont les occupations estivales du narrateur. Une déambulation salvatrice pour notre protagoniste qui peine à goûter sereinement au bonheur de l’été, enfermé dans un amour condamné et troublé par son irrépressible envie d’écrire : “La cité pourtant, sa rumeur à la fenêtre, semblait m’indiquer une voie ; le fleuve lui-même, miroitant au pâle soleil de ces journées orageuses, murmurait une parole encore à dire.”

La solitude des corps 

La Chambre et le Temps, c’est également l’histoire d’une passion. L’histoire de deux corps qui se rencontrent le temps d’un été. Si la dimension philosophique de l’ouvrage ne fait aucun doute, c’est surtout le corps humain qui est mis à l’honneur. Le corps en mouvement d’où jaillit la marche, la sueur, l’acte sexuel.

“L’amour physique est aussi cela : cette galerie qu’il creuse sous la vie ordinaire, cette fracture qu’il introduit dans le quotidien entre l’existence au grand jour et les gestes étranges, obscènes, qu’on accomplit au secret d’un lit.”

Mais la fusion des corps n’est qu’éphémère et la solitude revient toujours en force, victorieuse. Le corps seul demeure. Et les sentiments, s’ils sont bien présents. Or La Chambre et le Temps ne nous conte pas une histoire d’amour bienheureuse. Quoi de plus banal qu’une passion contrariée et qu’un été désenchanté … Cette histoire ordinaire, Pierre Le Coz la sublime pour en saisir l’universalité.

“Puis j’allais marcher au long des rues vides où le vent du sud poussait contre mon visage tous les parfums morts de l’été.”

Elle est mariée, lui vagabonde en quête d’inspiration. Ils se rencontrent, s’aiment et se déchirent. Puis vient la fin de l’été et le déclin du songe, inéluctablement. La désolation couve les petits bonheurs, de la brise légère au café que l’on boit lascivement en terrasse. “Alors, le corps secoué de sanglots, je m’abattis sur le pont du navire qui continuait de glisser sous le ciel couleur de rose et de mort.”

Le temps de l’écriture 

La Chambre et le Temps brosse le portrait d’un écrivain en proie au désir. Désir de goûter à la volupté du corps aimé mais également d’écrire et de sonder le monde qui l’entoure.

Œuvre à l’écho autobiographique, La Chambre et le Temps brosse le portrait d’un écrivain en proie au désir. Désir de goûter à la volupté du corps aimé mais également d’écrire et de sonder le monde qui l’entoure. La marche n’est plus seulement une manière de fuir tour à tour l’ennui qui le ronge et la passion qui l’oppresse. Elle offre au narrateur la clé du champ des possibles littéraires, débroussaille la voie de l’inspiration poétique, clarifie les méandres de ses pensées vagabondes …

“Un livre, un poème qui serait comme la somme de tous les étés du monde, de tant d’aubes et de soirs à errer dans la ville, sans rien espérer, sans attendre personne.”

Écrire l’été, la ville et le souffle qui l’anime. Écrire la symbiose. Pour tenter de comprendre ces heures où l’on se fond dans ce qui est autre pour mieux se fondre dans nous-mêmes. Temps figé par les mots, ne laissant place qu’à l’insondable beauté d’un espace méditerranéen innommé.

“Et je me rappelais que je n’étais jamais parvenu à écrire de l’été, de son souffle, de sa chaleur.

Au-delà de la profondeur humaine de La Chambre et le Temps, il faut souligner la virtuosité poétique de la plume de Pierre Le Coz. Bien que prolifique, l’écrivain ne semble définitivement pas jouir de la renommée qu’il mérite quand d’autres tartuffes de la littérature – pas tous heureusement -, décrochent curieusement des prix littéraires à la chaîne.

“Du soleil à présent ne reste qu’une trace violente : la couture pourpre qui se résorbe telle une cicatrice à l’extrémité du jour.”