Pierre Guénard signe Zéro Gloire, son premier roman paru aux éditions Flammarion le 24 août  2022. Une certaine mélodie se dégage de ce roman d’apprentissage qui retrace les rêves de gloire et le quotidien de dur labeur du narrateur, Aurélien. Ce récit est également pour l’auteur l’occasion de dresser avec beaucoup de finesse un portrait tendre et cynique d’une France périphérique.

Un roman de l’alternance

Les chapitres de l’œuvre de Pierre Guénard s’alternent entre souvenirs d’enfance et présent, montrant la continuité d’une vie passée dans les environs de Toul. D’un côté, il y a l’enfance d’Aurélien, que tout le monde surnomme Harry en raison de sa ressemblance avec le héros de J.K. Rowling : une enfance à s’ennuyer, à rêver à Sonia dont il est amoureux et à fumer des cigarettes caché au cimetière avec son copain. De l’autre, il y a sa vie d’adulte en colocation, dont les heures se partagent entre le Mcdo et les pompes funèbres, offrant un grand écart quotidien entre deux environnements de travail qui se valent : « Je me demande si je sens autant la mort que la frite ».
La réalité de la besogne se traduit par l’attention portée au sensoriel :  les couleurs criardes du McDo, les bip bip de la caisse, l’aspirateur du thanatopracteur… et s’opposent au rêve qu’Aurélien nourrit : vivre de sa musique. Dans la vraie vie, Pierre Guénard est à la tête du groupe de rock Radio Elvis.
Cette alternance est aussi celle du prosaïsme et de la poésie : le corps d’Aurélien, éprouvé par le travail physique, l’oblige à se vider de sa poésie aux toilettes.
Sa condition devient alors opportunité lyrique et le corps s’en fait receptacle : « La nuit au McDo, mon corps fait des choses que mon esprit déteste alors je le laisse aller où il veut. Il slalome un peu partout et quand il a un mot, une phrase qui lui vient, il me traîne aux chiottes et j’écris tout ce qu’il me dicte dans un carnet. Je tire la chasse et je ressors avec un poème de ouf. »

Entre vérité coup de poing et envolées lyriques 

Pierre Guénard a commencé par le slam et cela se ressent dans son écriture. Phrases courtes au rythme binaire, zeugmas, présent de vérité générale, son style est rythmé et la petite musique qui en découle porte le récit.

« Tu sais Aurélien, je crois que si on veut vraiment changer de vie, faut changer de ville. Sa voix ricoche un peu partout et soudain la Terre est ronde. Je me balade en orbite. De là-haut on voit plus que nous et la muraille de Chine. Assia continue de parler et je fais des galipettes, je croise des satellites. Y a plus personne et je respire l’air pur de mon scaphandre, rien n’est sale, ça fait du bien.

Je flotte, je flotte, je flotte. »

On suit le narrateur grandir à travers ses découvertes et ses désillusions, enrobées de l’humour malicieux  de Pierre Guénard, qui étoffe son récit d’aphorismes qui prêtent à sourire:

« Faire l’amour, c’est soulager une crampe »

ou encore

« (…) En réalité, la mort est une succession de portes. Fourgon, morgue, frigo… on ouvre, on vérifie que c’est bien mort, et on referme. »

Pierre Guénard a l’art du détail connoté qui rend parfaitement compte d’une atmosphère.
Ainsi le cimetière : “Le gravier croustillait sous mes semelles et ça puait les fleurs passées” ou encore, le domicile familial :

« Passé le portail, les parents sont dehors à nous sourire. Ils font comme si ça suffisait d’avoir son jardin et que tout était là, entre nos mains. Le canapé du salon réceptionne ma chute, les verres deviennent orange et maman sort trois gâteaux. Je dis que tout est parfait, vraiment, et papa pense que j’en fais trop. Maman raconte ce qui s’est passé à Cravoux, les oiseaux qui sont revenus, ses loisirs créatifs, le gris des nuages et la forme du vent.»

La France de l’attachement et de l’ennui

Ce style est au service de l’acuité du regard avec lequel le narrateur observe son environnement, cette France périphérique chère à Nicolas Mathieu, plus évoquée que racontée à travers des détails bien sentis.

« Autour de Poitiers, on a arrêté de faire du colza et du tournesol pour cultiver des lotissements. C’est devenu plus rentable de loger les gens que de les nourrir alors des petites maisons poussent un peu partout.»

C’est la France de la télé et des vérandas – dont le père d’Aurélien est représentant de commerce-  des générations qui se succèdent, des voisins qui se rassemblent.
Pierre Guénard décrit avec tendresse cette France, ses usages et ses désillusions, sans pour autant chercher à la croquer d’un point de vue de sociologue, ce dont on lui est reconnaissant.

« Ce que cette génération aimait par-dessus tout, c’était se faire payer le café à l’improviste. Quand les uns frappaient au carreau, les autres soufflaient les miettes de pain sur la table en se passant une main dans les cheveux. Ils pouvaient être jusqu’à dix à s’asseoir autour de la nappe cirée. Ils faisaient glisser leurs doigts sur le bord granuleux des mazagrans et discutaient comme s’ ils n’avaient jamais eu d’enfants. Les radars mobiles, le lâcher de salopes, les 24 heures du Mans, tout ça pendant que la cafetière se vidait vite fait pour attaquer l’apéro.»

Puis plus loin :

« Dans la vitrine du vaisselier, Papy-Mamy souriaient dans leur cadre en bois. Derrière eux la salle des fêtes était pleine, on entendait encore la mère de Mélanie leur crier Cheeeese. Ils avaient l’air de s’être mariés pour vieillir, grossir et prendre cette photo. Après on avait empilé les chaises, rendu les clefs de la salle des fêtes et placé Papy-Mamy en maison de retraite. On s’était dit qu’en les mettant là-bas, le temps s’arrêterait, comme pour les aiguillettes de poulets qu’on range au congélateur pour prolonger la date. Mais même à -20° C, le temps s’arrête pas ».

C’est la finesse qui caractérise Zéro Gloire : tout comme le narrateur transforme son quotidien glauque en poésie, le style de Pierre Guénard fait naître du récit une réalité poétique qui transcende le texte.

Crédit photo : © Delphine Gosarossian