Nouveauté de cette saison 22-23, l’historique Théâtre L’Athénee – Louis Jouvet accueille dans la salle Christian-Bérard une programmation qui fait la part belle à la jeune création. Zone Critique est allée y découvrir Rembobiner, le nouveau spectacle du collectif Marthe (Tiens ta garde), une proposition radicale pensée à partir de l’œuvre de la réalisatrice et militante Carole Roussopoulos.

C’est au sommet de bien des volées de marches que le collectif Marthe a inauguré ce 5 octobre sa dernière création : Rembobiner, dans le magnifique Théâtre de l’Athénée. On y découvre à travers une reconstitution théâtrale de ses œuvres le travail de Carole Roussopoulos. Ce nom ne vous dit rien ? Il est pourtant intrinsèquement lié aux mouvements d’émancipation des années 1970 en France et en Suisse. Pionnière (avec Godard) du Portapak, cette militante par l’image aura réalisé plus de 120 documentaires pendant les 39 ans de sa carrière, interrompue seulement par sa mort à 64 ans. Soyez toutefois avertiE : Rembobiner n’est pas une biographie. C’est un voyage dans le temps.

Bonheur en luttes

Les scènes successives respirent l’énergie et l’optimisme des luttes qui vivent et qui font vivre.

Ce voyage nous propulse vers les premières années de la carrière de la réalisatrice, dans l’effervescence des luttes nées de Mai 1968 : grèves ouvrières et expériences d’autogestion avec « l’affaire LIP », mouvements LGBT avec le F.H.A.R. (Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire) et les Gazolines, droit à l’avortement… Carole Roussopoulos se tenait d’attaque sur tous les fronts. On retrouve alors dans leur nouveau spectacle tout ce qui fait le sel du Collectif Marthe : une pédagogie toujours mâtinée d’humour, une colère joyeuse, et une foi indéfectible en la capacité d’une poignée d’oppriméEs déterminéEs à changer les choses. Tant de caractéristiques que semblait partager celle qui y est dépeinte avec tant de tendresse.

Pour les actrices, le lien semble naturel, et la joie, la fierté d’incarner de tels morceaux d’histoire se ressent jusqu’au fond de la salle. Nous frissonnons avec elles lorsque se déploient les banderoles, lorsque fusent les slogans, on s’élancerait presque, le poing levé. On reste assisE cependant, portant dans notre cœur le poids de la reconnaissance pour toutes ces figures qui, fugacement, apparaissent pour nous rappeler ce que le présent doit aux combattantEs du passé. On n’oublie pas toutefois ce qu’il nous reste à préserver, à conquérir. On garde comme un conseil ces mots de la réalisatrice : « La trachée, c’est le trajet de la colère ». Mais d’une colère active. D’une colère « marthienne ». D’une colère menant une actrice à se lancer dans un rap qui soutire bien des éclats de rire au public, qui fait gribouiller à une autre des dessins et des quolibets moqueurs sur ses diapositives, tournant en ridicule différentes figures de l’oppression. Comme toujours avec les « Marthe », les sujets sont fouillés, très bien documentés, et limpidement expliqués. Les scènes successives respirent l’énergie et l’optimisme des luttes qui vivent et qui font vivre. Confèrent un souffle qui, peut-être, ne s’épuisera pas complètement une fois la lumière des projecteurs quittée pour celle de la nuit.

Un théâtre de la reconstitution

« Tu prends la balle, et tu la passes ! »

Je l’écrivais en introduction : Rembobiner n’est pas une pièce biographique. Ce n’est pas non plus tout à fait du théâtre documentaire. Les metteuses en scène ont pris un parti encore plus radical : celui de jouer des extraits vidéo de Carole Roussopoulos plutôt que de les montrer. En effet, des deux actrices présentes sur scène, l’une incarne la réalisatrice, projetant en arrière scène diapositives et filtres lumineux tandis que l’autre enchaîne des changements parfois très rapides de costume, perruque, maquillage, voix, pose… pour passer de personnage en personnage. Une performance qui mérite assurément qu’on la salue. Mais l’objectif porté par cette esthétique m’a longuement échappé : pourquoi dès lors ne pas se contenter d’un montage vidéo ?

Pour le comprendre, il faut suivre le jeu de piste que forment les citations de la réalisatrice, qui viennent parfois résonner à nos oreilles, parfois s’insèrent sous forme de texte en diapositives. Il y a cette conclusion de Maso et Miso vont en bateau : « Aucune image de télévision ne veut ni ne peut nous refléter. C’est avec la vidéo que nous nous raconterons. » Impossible de ne pas faire de parallèle avec le théâtre. Et puis il y a surtout cette image qu’employait Carole Roussopoulos pour décrire son métier : celle de passeuse au volley-ball : « Tu prends la balle, et tu la passes » ! Avec Rembobiner, le Collectif Marthe crée ainsi bien plus que l’hommage d’une rétrospective : il continue, par d’autres moyens, son travail de passeuse. La balle est à vous.

Rembobiner, Collectif Marthe

du 5 au 19 octobre 2022 – Théâtre L’Athénée-Louis Jouvet – salle Bérard

22 octobre 2022 – Théâtre des 13 Vents – Centre Dramatique National de Montpellier

du 6 au 10 novembre 2022 – Théâtre de la Croix-Rousse – Lyon

du 14 au 19 novembre 2022 – MC2: Grenoble

9 mars 2023 – La Passerelle à Saint-Just-Saint-Rambert

16 et 17 mars 2023 – Centre culturel de La Ricamarie

9 mai 2023 – Auditorium de Seynod, Annecy