Lahou, Côte d’Ivoire. C’est dans ce village, au bord de l’océan Atlantique, que Simon Coulibaly Gillard, arrivé par accident à cause d’une panne d’essence, pose sa caméra. À travers le visage d’Aya, ce premier long-métrage de fiction, lorgnant vers le documentaire, rétablit une vérité complètement oubliée : les populations les plus précaires sont les premières victimes de la grande crise climatique déjà bien réelle. 

Le film de Simon Coulibaly Gillard ne porte pas le message écologique scolaire asséné depuis quelques années dans de nombreux documentaires paresseux. Jamais un personnage ne mentionne cette tragédie, ni ne se place en porte-drapeau de la lutte contre le réchauffement climatique. Et pourtant, Lahou, presqu’île encerclée par l’Océan Atlantique, subit la montée des eaux et l’érosion progressive de ses terres. Les habitants, s’imaginant être les victimes d’une punition divine, dorment dans des baraques en bois, se nourrissent de la pêche et vivent presque sans électricité. Leur impact quasi nul sur la crise écologique en fait paradoxalement les premiers à subir la mondialisation et le mode de vie exubérant des sociétés occidentales.

Marée mortelle

Le réalisateur assiste, impuissant, au lent effondrement de leur monde

Le réalisateur assiste, impuissant, au lent effondrement de leur monde et identifie les premiers signes de mouvements migratoires qui deviendront planétaires. En ce sens, les plus beaux gestes de mise en scène du film contemplent d’un œil soucieux l’Océan. Les vagues se déchaînent, viennent gratter la roche et affoler les esprits. La métaphore de l’eau recouvre son double sens originel: elle est à la fois nourricière, symbole de vie, et destructrice, telle une force naturelle qui engloutira tout sur son passage. Dans ce microcosme subissant les affres de forces qui leur échappent, se trouve Aya, jeune habitante qui refuse l’exil. En posant sa caméra sur Lahou, Simon Coulibaly Gillard a été subjugué par la vitalité de son visage et a transformé la jeune femme en héroïne. Aya, forcée de quitter sa terre natale et surtout cette étendue d’eau qu’elle chérit tant, n’est pas si différente des jeunesses sacrifiées des pays occidentaux, premières proies du réchauffement climatique. Les scènes montrant son quotidien, aux côtés de sa mère et son frère, n’ont certes rien d’original et souffrent d’un regard par trop ethnologique, mais il suffit d’un champ-contrechamp entre la jeune femme et l’Océan pour révéler la douce mélancolie d’un personnage coincé entre l’extase et la crainte de l’anéantissement de son paradis. 

Délitement des traditions

Si l’on peut regretter le choix parfois maladroit de la fiction, les scènes qui relèvent  du documentaire s’affirment cependant comme les plus belles du long-métrage. Les hommes, levés aux aurores, déplacent les bâtisses pour une durée provisoire : il faudra bien les reculer encore et encore jusqu’à s’enfoncer dans l’arrière-pays. La caméra se réveille en pleine nuit et déambule dans le village endormi.

La crise écologique menace les vivants et trouble le sommeil éternel des trépassés

C’est là que surgit une lumière, effrayante source d’une activité tristement nécessaire. Quelques habitants profanent les tombes de leurs proches pour recueillir les ossements et parures qui gisaient sous terre. La montée des eaux réveille les morts qui sont déplacés pour les mêmes raisons que les maisons. La crise écologique menace les vivants et trouble le sommeil éternel des trépassés, rien ne semble pouvoir lui échapper. Le film aurait peut-être dû se contenter d’être un regard extérieur et interrogateur, mais toute cette trame convenue qui entoure Aya prend tout son sens dans la dernière partie. Cette dernière, poussée à l’exil par sa mère, voit sa vie chamboulée dans la grande ville. Affublée d’une perruque rose et troquant les toges traditionnelles qui la couvraient pour un débardeur et un mini short, Aya semble détonner lors de ses sorties en boîte de nuit. Il ne lui reste plus qu’une ultime déambulation pour revenir, métamorphosée, devant l’Océan doucement illuminé par le soleil levant. Cette scène finale, offrant une réunion salvatrice, marque la dernière rencontre entre Aya et le berceau de son existence, comme pour confronter l’humanité aux conséquences de ses actes. 

Aya, un film de Simon Coulibaly Girard avec Marie-Josée Kokora et Patricia Egnabayou, en salles le 12 octobre.