Patrice Giorda nous revient avec une nouvelle exposition qui est la récapitulation de son travail autour du mystère du visage humain. Depuis le 12 octobre et jusqu’au 23 décembre prochain, la Fondation Renaud dédie une grande exposition au peintre lyonnais au sein du Fort de Vaise. Plus de 150 dessins et peintures de Patrice Giorda sont présentés au public et répartis en huit séries : autoportraits ; portraits en prison ; le chantier Velasquez ; le lycée international de Lyon ; portraits d’une entreprise (ACTI) ; Gabriel ; portraits et figures ; corps et visages.

« Qui sommes-nous face à l’autre ? »

Portrait-n°1, 102×75

On connaît le style Giorda, on connaît son feu intérieur qui impose à tout sujet cette folie fauve en faisant crier les couleurs. C’est qu’il ne peut se taire car il ne cesse de naître. La lumière qui l’assaille et qu’il transforme ne peut être que radicale. C’est ainsi que sans autre information, on ne pourrait dater un tableau de Giorda. Au Fort de Vaise sont exposées des toiles des années 90 comme des toiles récentes, et on ne fait pas de différence quant au style. Tout était déjà là dès le début et Giorda est dans une perpétuelle renaissance.

Penchons-nous sur ces portraits et figures qui illustrent ici le mystère du visage humain. Giorda apparaît comme un collectionneur de faces, à la recherche d’une vérité de l’être. Il pose la question ainsi : « Qui sommes-nous face à l’autre ? » Et il semble buter dans cette recherche. Chaque visage apparait insondable, têtu, presque hermétique, plus prompt à camper une énigme qu’à révéler quoi que ce soit. Nous restons à distance, embarrassés par le mystère du visage. Le modèle nous toise de son regard blanc, on se sent obligé de baisser les yeux et d’y revenir comme à la dérobée. Les modèles ne se prêtent pas au jeu. Pourquoi souriraient-ils ? Ils ne sont pas face à un photographe ou pire à leur bras tendu pour un selfie. Ils sont simplement un défi pour l’artiste. Quant au peintre, il n’est pas là pour flatter mais pour rendre compte de la présence de l’autre pour tenter d’établir une correspondance entre eux et lui, entre eux et nous, entre nous et lui.

Quant au peintre, il n’est pas là pour flatter mais pour rendre compte de la présence de l’autre pour tenter d’établir une correspondance entre eux et lui, entre eux et nous, entre nous et lui.

L’être en patience

La prison, le lycée international lycée, l’entreprise ACTI, c’est là que Giorda est allé chercher des visages. Et sans la référence à la série, on ne peut deviner d’où ils viennent. Les visages n’ont rien à prouver, rien à plaider, rien à vendre, ils n’ont aucun rôle social. On les trouverait presque inexpressifs, comme l’exige l’administration pour les photos de nos cartes d’identité. C’est qu’ils manifestent simplement l’être en patience, comme en salle d’attente, l’être au purgatoire. Sont-ils fiers ? Non, simplement irréductibles. La chair du visage vibre, nous butons et rebondissons. C’est qu’ils sont pleins ces visages, pleins d’une présence, patinés, parfois esquintés. Toute leur vie est récapitulée dans le portrait réalisé par le peintre. Je suis sûr que chacun s’y retrouve entièrement. Ce sont des visages non dupes, ils sont avisés, informés de ce qui les attend simplement parce qu’ils ont vécu. La naïveté les a quittés. C’est donc là, la quête de Giorda, peindre le vécu inscrit sur la face. C’est peut-être pour ça que Gabriel, son fils, n’a pas droit à un visage à 3 ans, il préfère remplacer les traits de l’enfant par un barbouillage qui le rend non identifiable sur son cheval à bascule. Dans sa naïveté, le visage de Gabriel n’aurait rien à raconter encore.

Autoportrait-1987

Empreint de visage

Le visage du peintre n’échappe pas à sa quête et une salle du Fort de Vaise rassemble les autoportraits de l’artiste à travers le temps. La tête du peintre se décline à la façon des cathédrales de Rouen de Monet. Toujours le même, jamais le même. Le mystère reste intact, jamais usé. C’est dans les espaces du rez-de-jardin que l’on découvre les seize portraits des élèves du Lycée international de Lyon. Le coloriste fauve a laissé ces têtes-là en noir et blanc, c’est comme un dessin entouré de couleurs qui crient. Lui qui rend compte de l’aspect kaléidoscopique d’un visage s’est effacé cette fois devant l’autre. Pour les portraits des employés de l’entreprise ACTI en sous-sol, cela en est complètement fini des couleurs puisque nous contemplons des dessins. Le dessin est pèlerinage car il témoigne toujours du processus de création. Et les dessins de Giorda ont déjà de la matière, on ne se refait pas. Quand on est habitué au duel avec la toile, on ne peut s’empêcher d’être généreux même avec un crayon. Les visages sont suspendus sur des draps et forment comme un labyrinthe. On peut se cacher. Voilà bien la meilleure façon de se retrouver seul face à face avec l’autre. On passe entre les draps étendus comme pour sécher et on fréquente les employés de l’entreprise. Le peintre aurait-il fait comme Véronique avec le Christ et essuyé la face de ses gens avec un tissu ? En fait, ce ne sont peut-être pas des dessins mais des empreintes…

Une dernière salle est consacrée au chantier Velasquez. Pendant un an et demi, Giorda a peint à sa façon les tableaux de Velasquez, le peintre reçu en héritage. Les toiles de Velasquez toutes barbouillées de matière écrasée, aplatie, se mettent à crier pour rejoindre avec force l’œuvre de Patrice Giorda. Ce n’est pas tant pour lui rendre hommage que Giorda a mené ce chantier, même s’il aime puiser dans l’histoire de la peinture, mais parce qu’il avait besoin de ces drôles de personnages choisis par Velasquez, les nains, l’infante. Une correspondance s’établit avec les portraits égrenés précédemment. « Qui sommes-nous face à l’autre ? » Et bien Giorda est systématiquement un peintre face à l’autre. Et il nous a offert partout dans le Fort de Vaise des gueules, pas cassées, mais déformées parce qu’épousées par la toile, des gueules pleines qui remplissent le Fort de Vaise de leur présence.

Pour ceux qui ne pourront aller à Lyon voir cette exposition de 150 portraits et figures, le catalogue Ce mystérieux visage, édité à cette occasion, nous propose de voir les peintures commentées des propos des écrivains Alexis Jenni et Gérard Mordillat.

Un article de Maximilien Friche

Illustration : Les Larmes de Gilles, 162 x 130