L’exposition immersive et dansée We should have never walked on the moon s’est emparée du Théâtre national de Chaillot et l’occupe dans tous les coins et recoins. Créée par le collectif (LA)HORDE/ Ballet National de Marseille, cette œuvre totale saisit par son avant-gardisme et sa richesse créative. L’envie du collectif est de questionner le rapport entre la danse et le monde populaire du cinéma : comment l’un a influencé l’autre ?  Fondé depuis 2019, le collectif (LA)HORDE à la tête du Ballet National de Marseille est devenu une référence en termes d’ingéniosité chorégraphique, de force de proposition et d’engagement.  

Une plongée en profondeur

Tout autour de nous peut se métamorphoser et devenir performance.

A peine entrée dans Chaillot que l’expérience commence déjà. Sur le tapis rouge au bord calciné, réalisé par Cristian Zurita, qui couvre le mythique grand escalier, un cascadeur jaillit pourchassé par deux faux agents de sécurité, après une dispute en carton, tous finissent par trébucher et dégringoler violemment les marches. Une fois le choc passé on comprend alors que tout autour de nous est à interroger et peut se métamorphoser et devenir performance. Nous nous surprenons à scruter notre voisin de droite ou notre voisine de gauche et à nous demander s’ils sont de simples spectateurs ou bien des acteurs. Ce rapport transformé à la représentation ouvre un vertige et une ivresse : la proposition est ludique, omniprésente et peut tordre la réalité.

En plus de cette duplication des possibilités, il y a un puissant sentiment de liberté à se promener-presque sans limite- dans l’ensemble du théâtre : du foyer à la régie, de la scène de la salle Jean Vilar avec ses 1 200 places à la petite salle de répétition au sous-sol. Les travaux techniques et logistiques colossaux permettent une déambulation émerveillée et un sentiment d’appropriation et d’appartenance au lieu. Comme dans une formidable chasse aux œufs de Pâques, nous nous régalons de trouvailles.

Une claque de jeunesse

Nous nous promenons entre les questions, les angoisses, l’adrénaline, les envies et les rêves d’une génération.

Ce qui frappe également c’est l’âge du public. Le Théâtre national de Chaillot semble avoir réussi son pari de faire venir la jeunesse. Avec des tarifs extrêmement attractifs pour les moins de 28 ans (10€ la carte abonnement avec notamment des tarifs préférentiels pour des accompagnateurs jeunes), l’envie de renouveler les spectateurs est sincère et concrète. La fraîcheur de ce regard très enjoué et attentif tombe rapidement en admiration devant les propositions de (LA)HORDE/ Ballet National de Marseille. Nous nous promenons entre les questions, les angoisses, l’adrénaline, les envies et les rêves d’une génération.

Dans les gradins de la salle Jean Vilar est projeté le film Cultes. Entre toutes les images : des corps plongés dans un étang parmi les nénuphars. Les visages sont blafards, les regards éteints, comme un écho au tableau Ophélia de John Everett Millais. Nous voyons la beauté terrible d’un corps immergé, glacé par la mort. Devant ces images, le renvoi presque immédiat à la montée des eaux et la sensation d’étouffement que cela peut provoquer. Puis les images s’enchaînent comme un condensé d’une jeunesse qui cherche à ne pas se noyer : des corps qui dansent, se pressent, célèbrent, s’aiment. En accompagnement sonore, une musique électro, qui nous happe comme une transe vers une impossible quête en avant.

Et puis, face au menu très copieux de l’ensemble des performances de la soirée, s’ajoute aussi une autre angoisse générationnelle, la Fear Of Missing Out (Peur de manquer quelque chose). Cette inquiétude se justifie cependant devant la qualité des capsules artistiques et notamment chorégraphiques qui donnent envie de tout voir et tout entendre.

(c) Theo Giacometti

Un menu déstructuré

Si tous les ingrédients d’une bonne recette sont réunis, ils s’organisent en des formes et des propositions bien souvent insolites et surprenantes. Certaines rencontres sont complètement inattendues, comme l’œuvre dans la salle Maurice Béjart (Danser parce qu’on ne peut pas parler aux animaux) de Cecilia Bengolea, François Chaignaud et Grime Ballet. La chorégraphie fait dialoguer plusieurs œuvres contemporaines, ainsi que plusieurs méthodes. Un passage de Hiplet ( fusion entre le ballet sur pointe et le hip hop, discipline créée dans les années 2010 aux Etats-Unis) est très saisissant. Un autre tableau qui sort immédiatement du lot des représentations conventionnelles est Low Rider dans la salle Firmin Gémier. Deux danseurs, Alida Bergakker et Izzac Carroll, composent une histoire amoureuse à trois avec une voiture télécommandée. Le véhicule par un système pneumatique et de ressorts, accompagne le mouvement, se penche, s’abaisse, tourne… participe au ballet.

Les corps des danseurs sont d’une intensité, d’un engagement et d’une physicalité rare.

Au-delà de l’univers futuriste des propositions, les corps des danseurs sont d’une intensité, d’un engagement et d’une physicalité rare. Les chorégraphies demandent beaucoup de dévotion et de technicité, et non seulement les danseurs nous transmettent cela, mais ils nous amènent plus loin encore avec une incarnation et des attitudes cinématographiques. La justesse des expressions parfait l’ensemble et amplifie les émotions des mouvements.

Par une créativité hors norme, une justesse actuelle et engagée et une émotion brute (LA)HORDE/ Ballet National de Marseille est le jeune collectif de danse contemporaine à suivre absolument.

Pauline Crépin

  • L’exposition performative We should have never walked on the moon sera à Chaillot du 27 octobre au 04 novembre 2022. Aussi, il ne faut pas hésiter à assister à leur spectacle Room with a view dont la prochaine date de tournée sera le 8 novembre 2022 à la Scène nationale d’Orléans.

Crédit photo : (c) Theo Giacometti