Dans Fictions d’asile / Au nom du peuple français, actuellement au Théâtre 13, Pierre-Marie Baudoin met en scène les coulisses du traitement des demandes de droit d’asile à la Cour Nationale du Droit d’Asile où se côtoient juges, avocat.e.s, rapporteur.ice.s, et requérant.e.s d’une hospitalité administrative et judiciarisée.

Autofictions

Sur une scène aussi austère qu’une cour de justice, les demandeur.se.s d’asile, tentent de faire entendre le long récit de leurs malheurs à des juges circonspect.e.s. Iels sont secondé.e.s par des avocat.e.s qui les poussent à réécrire avantageusement la trame d’une existence fracassée par les persécutions sexistes, politiques et religieuses, ou des interprètes qui déforment parfois leur propos. On se rend alors vite compte qu’il est presque impossible pour ces hommes et ces femmes de se raconter tant il leur faut, avant tout, se justifier.

Entre ces saynètes à la fois poignantes et ubuesques, un comédien incarnant l’auteur de la pièce interroge les différents acteurs

Le sort terrible d’une femme confrontée aux violences de sa famille, raconté de façon poignante par le truchement d’un rêve qui émeut profondément les spectateur.ice.s, devient ainsi une seule phrase étranglée par les pleurs devant des juges distant.e.s, tandis qu’un jeune homme homosexuel qui fuit l’homophobie de son pays se voit reprocher de ne pas suffisamment « ressembler à un homosexuel » pour être crédible.

Candide à la CDAH

Entre ces saynètes à la fois poignantes et ubuesques, un comédien qui incarne l’auteur de la pièce interroge les différents acteurs de ces drames à huis-clos « pour une pièce de théâtre engagée », promenant son étonnement naïf avec beaucoup d’humour dans les couloirs de la CDAH, comme pour mettre à distance la compassion et la colère faciles que nous pourrions ressentir. Les comédien.ne.s, qui incarnent tour à tour un.e réfugié.e ou un.e membre du corps judiciaire sortent également de leur rôle pour livrer leurs doutes sur une scène trop lacrymale ou trop clichée. Quitte à ce que le spectacle semble parfois hésiter entre théâtre très méta et intellectuel, et émotion pure.

@Matthieu Ponchel

Récits naufragés

Les comédien.ne.s ne deviennent alors plus que des silhouettes silencieuses incarnant dans leur corps une douleur au-delà des mots.

C’est finalement dans la troisième partie du spectacle que le comédien-représentant-l’auteur trouve la meilleure façon de montrer fidèlement la condition d’exilé.e : en laissant la parole au « récit manquant », celui d’un immigré qui, après avoir connu la torture en Libye sur le chemin de l’Europe, affronte la Méditerranée et perd un de ses compagnons d’enfance et d’infortune dont on lit la dernière lettre sur scène. Les comédien.ne.s ne deviennent alors plus que des silhouettes silencieuses incarnant dans leur corps une douleur au-delà des mots.

Fictions d’asile, malgré quelques longueurs et effets de manche, a ainsi le grand mérite de rebattre les cartes du « spectacle engagé », ne nous prenant jamais en otage d’émotions légitimes mais posant habilement la question de l’énonciation au théâtre, dans l’espoir que les réfugié.e.s puissent un jour être totalement maîtres de leurs récits d’exils.

  • Fictions d’asile / Au nom du peuple français, texte et mise en scène Pierre-Marie Baudoin, avec Astrid Bayiha, Heza Botto, Riad Gahmi, Frédéric Gustaedt, Tarik Kariouh, Khadija Kouyaté, Céline Laugier, et les voix d’Hassane Mahamoud et Mexianu Medenou, jusqu’au 18 novembre au Théâtre 13/Bibliothèque
@Matthieu Ponchel

Crédit photo : @Matthieu Ponchel