C’est à un noble projet d’édition que se livre le normalien Jérémie Pinguet depuis avril dernier : constituer une Bibliothèque poétique des femmes. Son pari ? Redonner aux poétesses méconnues des XIXe et XXe siècles leurs lettres de noblesse en éditant leurs recueils au sein de la collection Poésie(s) de l’Harmattan. Après le premier volume consacré à Louisa Siefert, celui que nous découvrons aujourd’hui, édité par Eléonore Rambaud, est consacré à Augustine-Malvina Blanchecotte et à ses Nouvelles poésies publiées pour la première fois en 1861. 

Née le 30 novembre de l’année 1830, Augustine-Malvina Blanchecotte sera toute sa vie durant une femme de son temps. Issue d’un milieu ouvrier, elle ne se consacre à la poésie qu’au prix de lourds sacrifices. Pour gagner sa vie, elle travaille durement et enchaîne les petits boulots : couturière, dame de compagnie, préceptrice … Mais jamais elle ne se cachera de cette origine modeste. Bien au contraire, elle n’hésite pas à rappeler dans les préfaces de ses recueils ses miséreuses conditions de travail. Elle n’est pas peu fière de ses accomplissements littéraires, comme si l’acte d’écrire traduisait pour elle une forme de revanche sociale. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si son fils unique qu’elle a élevé seule est devenu polytechnicien. 

Ce qui est fascinant dans le parcours de Blanchecotte, c’est en effet sa propension à défier la hiérarchie sociale. Elle épouse, probablement stratégiquement, un teneur de livres. Elle commence à fréquenter le salon littéraire de Louise Colet, devenant amie avec le chansonnier Béranger et se familiarisant avec les œuvres des auteurs de son temps, à l’instar d’Alphonse Lamartine qu’elle idolâtre et dont elle parvient à susciter la sympathie.

Ses détracteurs misogynes, dont font partie Gustave Flaubert ainsi que le romancier et critique littéraire Albert Cim, la jugent bassement en lui reprochant son apparence “hideuse”, sa laideur, son manque de coquetterie, ses manières gauches, son allure grossière … On voit bien là toute la misogynie de ces faibles âmes et l’on en vient à se demander si ces salons ne sont pas perçus par ces derniers comme étant mondains et luxurieux avant d’être littéraires … 

Le fait est qu’en 1856, le premier recueil de Malvina Blanchecotte, Rêves et Réalités, n’en est pas moins couronné par l’Académie française. Napoléon III en personne se dit séduit par l’œuvre de la poétesse à tel point qu’il lui envoie mille francs pour l’encourager sur cette voie. Soutenue par l’empereur donc, mais aussi par ses amis Lamartine et Béranger ainsi que par Victor Hugo, Sainte-Beuve et Théodore de Banville, Augustine-Malvina Blanchecotte n’est pas sur le point de quitter les salons littéraires de sitôt !

Sur les flots de Lamartine … 

Blanchecotte voue une admiration sans borne à Lamartine. Plus qu’une inspiration littéraire, Lamartine est littéralement un objet de fascination et d’idéal pour Malvina. Celle-ci va jusqu’à nommer son lévrier pareillement à celui du poète, Perlino. C’est donc sans surprise que nous apprenons que son propre fils portera le nom d’Alphonse ! Cette admiration va naturellement se ressentir fortement dans son œuvre poétique. Les poèmes de Blanchecotte s’inscrivent ainsi dans le respect des thèmes chers au courant romantique, à commencer par la contemplation de la nature. Et comme Lamartine, l’un des sujets de prédilection de Blanchecotte se trouve être l’immensité de la mer. 

Si la poétesse est loin d’égaler Lamartine, certains vers n’en demeurent toutefois pas moins travaillés et captivants comme celui-ci extrait de son poème “Promenade en mer” :

“Le soleil se brisait en lueurs détachées, 

Illuminant au loin l’horizon d’un bleu noir ; 

Nos barques ondulaient légèrement penchées, 

Et la mer assouplie était superbe à voir.”

Le regard que que porte Malvina Blanchecotte sur l’océan est d’autre part celui d’une femme, et cette perspective féminine suscite l’intérêt du lecteur contemporain. Dans son poème “Noémi”, elle dresse le portrait d’une femme de marin tiraillée par la peur de perdre l’être aimé.

“Quand tu partais le soir, je suivais, à l’écart, 

De ton rouge fanal la lueur vacillante ; 

Je restais là, bien qu’il fît froid, bien qu’il fût tard, 

Et j’écoutais longtemps ta chanson grave et lente.”

Malvina dans tous ses états 

En parlant de désespoir, Blanchecotte en connaît un rayon … Comme tout poète romantique qui se respecte, cette dernière cultive l’expression des sentiments. Mais là où Lamartine se met à nu, Blanchecotte s’exhibe le plus souvent à outrance. L’intemporalité du propos de son long poème intitulé “Elle”, à savoir l’éternel questionnement amoureux féminin, fait sourire. 

“Je remplirai de bruit, de peur d’y trop songer, 

Je remplirai de bruit l’heure silencieuse

Où j’écoutais de loin venir ton pas léger, 

Tandis que s’élançait vers toi mon âme heureuse”. 

Mais rapidement, la poétesse joue malgré elle dans la surenchère, et là où sa plume se veut tragique, le lecteur voit un discours asphyxiant. Il faut dire qu’entre Blanchecotte et Wejdene, la ligne est parfois fine sur le fond …  Cet excès de soumission et de désespoir qui sont à ses yeux le lot des femmes de tous temps étouffe le lecteur et va jusqu’à frôler le ridicule. Nous sommes bien loin des féministes engagées du siècle. 

“Au milieu de la foule elle te pressentit : 

Elle se retourna d’elle-même, ébranlée ; 

C’était toi, c’était toi ! D’instinct son cœur battit 

Et l’amertume emplit sa paupière gonflée.”

Si la volonté des éditeurs de faire resurgir de l’ombre des poétesses oubliées est honorable, le féminisme n’implique pas de tomber dans la magnanimité pour autant. Les écrivains dont les œuvres ne nous parviennent plus, hommes comme femmes, ne tombent pas toujours dans l’oubli pour d’injustes raisons. Et si le nom de Malvina Blanchecotte ne nous dit rien aujourd’hui, ne serait-ce pas parce que son œuvre n’a pas su transcender les époques ? L’obtention d’un prix de l’Académie française, aussi glorieux soit-il, ne suffit pas pour laisser sa trace. S’il est certes difficile de rester gravée dans les annales lorsqu’on est une femme, il serait doublement discriminant de partir du postulat qu’une écrivaine méconnue et un tant soit peu appréciée de son temps possède indéniablement du génie. Mais ce qui relève ou non du génie littéraire demeure plus ou moins subjectif et le lecteur curieux se forgera donc son propre avis sur l’œuvre de Blanchecotte en lisant le volume en question … 

Le symbolisme pressenti 

Pour finir sur une touche plus élogieuse, soulignons que de nombreux poèmes de Malvina Blanchecotte sont novateurs en ce qu’ils annoncent l’émergence du mouvement symboliste. Naturellement, nous ne nous risquerons pas à mettre Blanchecotte au même niveau que le véritable précurseur du symbolisme qu’est Baudelaire. Mais certains de ses vers n’en sont pas moins modernes et originaux une fois replacés dans leur contexte littéraire. Prenons le poème “Heures de nuit”. La thématique de la fuite du temps est certes spécifique au romantisme, mais l’on retrouve également dans les Nouvelles poésies de Blanchecotte l’alliance de l’onirisme et du mysticisme … 

“Les heures aux heures liées 

Sonnent un fantastique appel 

Aux visions multipliées, 

Et le rêve devient réel.” 

Cet aspect de l’œuvre de Malvina Blanchecotte est plus séduisant encore que son ancrage romantique et il est fort probable qu’on le retrouve davantage dans son premier recueil Rêves et réalité. Peut-être que Jérémie Pinguet et Eléonore Rambaud prendront la décision de rééditer ce dernier à l’avenir ? Car c’est bien dans l’ombre de cette frontière du rêve et de la réalité que semble se tapir le talent de notre amie … 

“Ses esprits au loin emportés

Echappent aux choses sensibles ; 

Il me semble qu’à mes côtés

Des âmes chantent, invisibles.”